Le beau spectacle L’Effondrement programmé Le voilà Il a mis sa couronne de deuil Son voile de cauchemar Il monte un cheval noir D’où vient-il ce triste sire Ce déchet de nos accomplissements Enterrant sur son passage Des multitudes Des innocent.es
La grandiloquence L’Homme si grand H Evertué de munificence Un être microscopique Sans état d’âme Sans pitié ni compassion Vient mettre à genoux ta prétention
Des barrages Coupant l’eau des peuples Des centrales Irradiées de cailloux Des mines Abreuvées de sueur et de sang Des usines A dos d’hommes et de femmes Des laboratoires Expérimentant les extinctions d’espèces
Ils sont morts Pour l’ambition des puissants Elles sont mortes Pour leurs projets d’avenir Que reste-t-il à ces familles déshéritées Des cendres au fond des fosses communes Et l’empathie du présentateur télé
Et nous, pauvres survivants Assistants bénévoles Révoltés confinés Secouristes sacrifiés Damnés guérisseurs Alerteur.es de toujours Vrais protecteurs Voici notre colère
Le plan Ce bout de parchemin virtuel Sur lequel nos vies s’effacent Au profit du profit
Le contrat Où s’affairent des adhésions truquées Obligées de signer Sans contrepartie
L’appartenance De son corps à la science De son être à la Nation De son cerveau à la propagande d’Etat
La culture Des dominants vers les dominés Forcés de se taire Et de créer sous terre
La vie Au fond du silo mortuaire Au trente-sixième dessous Dans les allées de l’attente
Le fléau L’intime récompense La sublime réponse Un héros incompris et cruel
Quelle pitié Aucune Pas plus qu’un gouvernant Sur son gouverné
Tu n’es pas mort pour rien Mon ami Je continuerai l’œuvre de ruine J’écroulerai le dessein de tes meurtriers Je détruirai ses temples financiers Je raserai ses palais Et les balcons de sa suffisance
Tu n’es pas morte pour rien Mon amie Quel que soit ton pays Des êtres paieront Des êtres de chair Comme tu l’étais Pour t’avoir tuée Toi et tes enfants
Les montagnes se réveillent Les océans regorgent d’animaux La nature verdit Les prés de mon enfance refleurissent L’air augmente Et nous sommes en prison
Regarde tous ces fous La clé sur le démarreur Prêts à charger une foule de produits Dans le coffre de leur automobile Je voudrais que tout continue à s’arrêter Que s’évaporent par centaines Les promoteurs du miracle satanique Au pied de leur encensoir Vaincu par la honte, la bêtise Ou par la main de spectres vengeurs
Je ris de la situation Debout sur un mur Comme le coq de la fable Moqueur et sage à la fois Je ris de vos malheurs Je ne souhaite que votre perte Et votre solitude
Je vous parle À vous Marchés couverts Cellules de crises Vitrines privées Pôles de décision Zones V.I.P. Abjectes inventions murées
Je vous vois Défait du matin sanglant La gorge malsaine Les yeux de marbre Et je crache sur vos espoirs du soir
Encore des rires De la joie et des danses Sur le cercueil de ta société passée Vous ne serez pas morts pour rien Nous finirons le travail À coups de boule À coups de crosse ou de fusil À coups de vengeance
L’amour n’est plus Une distance s’en est emparée Ils avaient tout prévu Médité et programmé Ils copulent en secret Dans des tours de verre pilé Arrosés d’eau de javel Et oppriment de père en fils Ceux que vous chérissez
De prières en sacrifices Nous mettrons fin à l’ordre odieux Vous ne mourrez pas en vain Vous qui souffrez Sur un lit d’hôpital Pour toute récompense A vos décennies de vie Et d’espérance En un monde meilleur
Il sera meilleur Je vous le dis Comme un serment à la partie Qui va se jouer Se jouer bientôt Les armes à la ceinture L’intelligence dans les actes
Nous jetterons la base et la cime A tous les vents de la colère Reviendront au printemps Le cri des oiseaux terrestres Et les courants marins Porteurs de perspectives Modèleront l’à venir
Pour ça Mes ami.es Nous ne les laisseront pas Reconstruire l’injustice Ni contrôler l’Alpha Et moins encore nos Omega
En route vers les rives infinies Je rame sous un soleil furieux Je suis le peuple de la terre Engagé contre le mensonge et l’infamie Je ne veux plus de ce système intransigeant Je refuse ce mélange d’huile et d’eau Où fondent les désirs des démunis En l’or des prédateurs
Il.les ne doivent mourir en vain
***
Illustrations : Warner Bros. Pictures – INCEPTION de Christopher Nolan
Encore un extrait contaminé. Quand je vous dis que c’est une véritable obsession. Après, tout ça n’est qu’une histoire de traitement. Pour mon personnage, c’était pas un problème, suffisait de penser : solution. Si cet extrait d’OR LA LOI – II rappelle quelque chose aux anciens, qu’ils me le fassent savoir.
Vous êtes prêt ?
***
Or la loi
Monsieur le ministre Voyez un peu Un de la haute Un aristo Au tribunal Le grand Près la Conciergerie Ça ‘vous rappelle pas La Marie-Antoinette Toutes les grandes dames S’appellent Marie Je m’écarte J’en étais où Ah oui le procès Deux ans de procédure Le sujet de l’affaire Retraitement chimique Dans un bled Des autorisations Signées sans regarder Des pots de vin Gros comme le Titanic En avant la musique Les gros travaux Maestro Une première plainte Une instruction Et une enquête Responsabilité civile Ou administrative On cherche Mais en fouillant un peu Au aperçoit au fond Qu’une petite commission De faisabilité Dépêchée à l’époque Avait rendu son opinion NON Nous étions prévenus Dès le début Avant l’heure Ce serait trop risqué Pour la faune Pour la population Et le produit chimique N’est pas au point du tout Nous rendons notre avis À Monsieur le ministre Ce qui n’arrange pas Les flux liquides Alors vous savez quoi On étouffe l’affaire On remercie la commission Bâillonne les associations Tous les défendeurs de l’espèce citoyenne Et pendant ce temps-là Le produit se répand Comme la misère Sur le pauvre monde Dans l’eau Dans l’air Sur les récoltes Dans les maisons On essaie d’enrayer le phénomène De noyer le poisson On parle de radiations étrangères Mais le fait est là Un premier village Rayé de la carte Puis un autre Les communes alentour Cela fait force bruit Des périodiques qui s’y frottent S’y piquent Des manifestations Les familles On s’inquiète Qui sont les responsables Le directeur du centre Qui se retourne contre le gouvernement Le ministre Qui dément Et c’est l’affaire On ne dénombre plus les morts Les paralysés Les paraplégiques Et les myopathes Les radiés Et j’en passe Tout le dictionnaire médical N’y suffirait pas La cour des miracles Le Tchernobyl du XXI° siècle À cent bornes de Notre-Dame Procès Ça cause Réquisitoires enflammés Endiablés Endeuillés Affiche complet À chaque séance On ne compte plus les appels Les pourvois On invente des procédures Exceptionnelles Rien que pour le ministre
Enfin le jour J Jugement dernier Acquitté Innocenté N’a rien à voir Avec tout ça Tout blanc Le Mônsieur Ben voyons Et les gosses difformes À jeter aux ordures Les femmes enceintes Opérées d’urgence Les hôpitaux bondés De gens tout abîmés Et les crèches en berne Qui ont cessé de jouer Les écoles en mouroir Où s’enseigne la fin Les salles dispensées de sport Dont on se sert de dispensaires Les mairies transformées En cellules de crise Et tous les chants De ces opéras de misère Les pleurs des spectateurs Les offices funèbres Qu’on rejoue à tous les actes Les levers de rideau Sur les gens esseulés Qu’ont perdu leur conjoint Leurs parents Leurs enfants Ainsi Lorsque le verdict est tombé Du siège des juges Jusqu’aux lattes du parquet L’humanité présente Eut le droit de regagner la sortie Alors Les relents de dégoût Dans les gorges serrées Se sont déversés en clameur Les gens se sont levés Et tous debout Se sont mis à cracher Une salve d’horreur Dans la salle aux audiences
*
Je suis dans cette salle Près du gars qui parade On le félicite Par ici Tandis que par là On le hue On hurle au trucage Mais il est sauf Ne craint plus rien Sa responsabilité N’est pas engagée Au premier rang on prend la pose L’indignation est repoussée Au dernier rang Pas d’indemnisation Pas aujourd’hui Faut retourner chez vous On a plus de chez nous La morne plaine Que tout le monde sorte Qu’on évacue la salle Les photos claquent La presse Comme d’hab’ Aux premières loges Fini le triste Sire Ministre a beau sourire Vous comprenez Je suis irréprochable Je suis un grand ministre Un parolier des hémicycles Le ténor de vos mercredis Je repars en campagne Je suis présentable Lavé J’ai gagné Dès demain Près de chez vous Et vive la France
La foule Je remonte sur ma moto Empruntée pour l’occase Mets le contact Le casque J’enclenche Devant la grille Du Palais de Justice Du monde Et des gendarmes Des avocats Et des juges Des photographes Des journalistes La foire d’empoigne S’il vous plait Parlez plus près du micro De celui-ci Rapprochez-vous Monsieur l’Ministre Pour TF16 Toujours plus près De mon joli pan pan Et le coup part Feu Monsieur le ministre Sans autre forme de procès En plein dans son joli nœud de cravate Décoration Grand-croix de la Légion d’horreur Croyez-moi Je n’ai pas attendu Les félicitations du jury Les acclamations du public Les interviews à chaud Roue arrière En avant toute Sur les pavetons de la peine capitale Juste avant que n’arrivent les pandores Avec leurs casques durs Rien que pour moi Messieurs C’est trop d’honneur Tout plein de beaux motards Tout en bleu et en noir
OK Vous voulez qu’on s’amuse Que je me dis Direction voie sur berge À deux pas De l’autre côté de la Seine L’ai emmanchée à contresens La Pompidou Plein pots Plein phares Savent aussi piloter Ces gars-là J’ai intérêt à me magner À donf ’ sur la gauche J’use la béquille Sur le trottoir Ça frotte Ça fait des étincelles Comme dans une forge Acier contre la pierre Tu vas t’bouger Ducon Rien compris Celui-là Il va se vomir Dans un bruit de ferraille Une bétonneuse tombe à la baille Moi je bourre Une pointe à 180 Sous les Tuileries S’attendaient pas à ce coup-là Les dobermans J’aime la surchauffe Les moteurs bouillants Qui vrombissent La vitesse pure Et le risque par-dessus tout
Tiens, la garde républicaine Qui me file le train Toute une horde Cours la Reine À la chasse au mandrin Je passe sous le Pont d’Iéna J’évite deux-trois connards Qu’essaient d’me faire valser
Des héros Qu’on dira dans la presse J’arrive à Bir Hakeim Il y a des travaux Je glisse sur le sable Et je me viande Je lâche la bécane dans le fleuve Devant les automobilistes médusés Rétablissement
Vite
Des marches métalliques Serties au mur du pont Je monte à toute vitesse Ça sent sacrément le roussi Je n’avais pas prévu Que j’allais me gaufrer À cent quarante à l’heure Plus vite Rejoindre le 16° Et me confondre dans la foule Me perdre dans les rues
Trop tard
Voici la meute qui rapplique Je cours Ne sais plus où aller J’ai entendu des coups de feu On m’a tiré dessus Vous connaissez la suite
La peinture sans les peintres aurait peu de chances d’exister. À Tours comme ailleurs s’expriment dans la lumière de leurs ateliers des artistes de toutes nationalités et de cultures souvent diverses, alors que dans nos rues parfois survoltées des populations vont et viennent, du travail à l’école, de leur maison aux spectacles, sans toujours savoir les talents qui œuvrent parfois juste à côté de chez elles.
La rencontre avec l’art et ses créateurs n’est pas chose si aisée. Enchaînés à nos quotidiens, nous traversons tant de situations et de lieux qu’il faut le secours du hasard pour entrer en contact avec celles et ceux qui nous transmettent, au présent comme pour l’avenir, le fruit de leurs réflexions et de leurs visions.
Dans l’atelier de Diego Movilla trois demoiselles espagnoles en vertugadins
L’émerveillement est rare. Qui s’extasie encore à la contemplation quand il faut sans cesse remettre sur le métier la main et l’esprit ? Je suis journaliste ou charpentier, caissier ou conducteur de camion, mes yeux et mon corps sont occupés à la tâche. J’attends, souvent avec impatience, l’heure de retourner dans mon foyer et d’y retrouver ma famille. Patient, j’occupe mon temps à rendre à la société et pour moi-même ma part de besogne, que j’y prenne du plaisir ou non, que je pointe à un organisme social ou participe à une action bénévole. Pourtant, le rêve reste omniprésent et c’est grâce à lui et à l’espoir qu’il couve que mes facultés intellectuelles restent en éveil. Une forme étonnante, une couleur étrange, un agencement de traits inhabituels, n’importe quoi de différent et un monde nouveau s’illumine.
J’ai toujours considéré l’art comme une magie. Chaque artiste en a une conception particulière, au même titre que l’amateur, éclairé ou non. C’est sûrement une question de goût ou une prédisposition à la sensibilité du monde extérieur. Patience, contemplation et refus de fermeture, l’art a l’esprit entr’ouvert en toutes circonstances. Il laisse passer la lumière même pendant les périodes les plus sombres. C’est une discipline en soi, une volonté de rester éveillé quoiqu’il arrive.
Nul ne peut effacer la nature
La pluie, les mauvaises nouvelles, la politique, les soubresauts de l’économie, les injustices si cruelles sous tant de climats, les accidents imprévisibles et les catastrophes, l’âme est vigilante et aucune situation ne pourrait l’empêcher de s’évader ou de rester fidèle à elle-même, quel que soit le régime en place. Aussi ces rencontres hors du commun sont-elles aussi essentielles à la réflexion que des rides sur les visages des anciens ou que des tournoiements dans le jeu des enfants. Tant pis si dans le sillage de la création, parfois, l’hermétisme hante l’imaginaire des adultes ; la magie persiste à qui ose voir, à défaut de croire.
Ensuite, tenter de rendre compte de la représentation du monde selon Diego Movilla participe d’un certain défi à l’écriture. La critique d’art ou l’essai m’ont paru insuffisants compte tenu de la diversité des voies suivies par Diego, d’autant que la densité du champ pictural ou plastique dans laquelle toute son œuvre évolue est concentrée dans une logique implacable. Du coup (j’écris comme je parle), en discutant autour de sa palette une bière à la main et une cigarette dans l’autre, un œil sur une ménine dégommée et l’autre sur une installation en cours, la dimension ludique du propos m’est apparue probable.
Une palette de couleurs, preuve de la peinture.
D’où ce discours un tantinet théâtral autour de trois personnages, Jean, Conceptión et Arthur, comme les représentations oniriques de ce que m’inspirent les œuvres de Diego. Mais encore, le cours de leurs aventures est aussi alimenté par les différents documents ou textes déjà écrits par des collègues écrivains, critiques ou philosophes. Le peintre est notre sujet, nous le décortiquons tel un prisonnier pour mieux l’analyser, le dépecer, le démembrer, l’assujettir, le rendre esclave de notre pensée au risque, pendant que nous y sommes, de le trahir.
En définitive, puisque celle-ci est si rétive à se donner d’elle-même, nous nous rendons tous à l’évidence d’une effraction pour parvenir à la connaissance.
***
Mail du 5 novembre 2019
Bonjour Diego, Comme tout à une fin présumée, je déclare avoir terminé le petit texte dont tu as déjà eu un bref aperçu. Je me rends compte que c’est un essai difficile. Ton œuvre est si dense et si intelligemment fracturée que l’aborder de cette manière constitue une complexité qui m’a déjà bien mouvementé les cellules cognitives. Sans doute des textes plus théoriques, comme ceux que j’ai parcourus dans tes catalogues et sur ton site auront l’analyse nécessaire à une compréhension plus narrative. Ce qui m’a intéressé, c’est l’aspect ludique et très enjoué de toutes ces façons très disparates de remodeler l’existant, « au risque » de le casser pour lui redonner une nouvelle vie, en quelque sorte. C’est vrai que nous sommes souvent conditionné.es par des modes de représentation que si nous ne les remettons pas en question, par un procédé ou un autre, fût-il celui de la déconstruction, nous ne parviendrons jamais à nous en délivrer. Je crois que ton travail, parmi d’autres qualités, permet justement une émancipation de ces codes ancestraux et souvent pesants. S’ils nous ont conduits jusqu’ici, rien ne dit en effet qu’ils aient raison, aussi peut-on imaginer qu’un autre présent eût été possible en bifurquant à tel ou tel moment/endroit. Le rapport au temps, si j’interroge ce processus, sera constamment remis en question. Il y a de la fiction dans ce que tu tentes de nous dire à travers tes peintures et tes installations. C’est pourquoi Jean, Conception et Arthur ont pu naviguer d’un lieu à un autre sans se soucier des frontières. On en reparlera, je mets en forme l’existant avec les matériaux dont je dispose et je te préviendrai lorsque la première mouture me paraîtra assez aboutie pour la confier à ton jugement. Quoiqu’il en soit, cela restera un document de nature amicale, mais s’il peut nous ouvrir des portes ou défoncer des fenêtres pour nous faufiler par effraction vers des possibles, alors tant mieux. Bien à toi et à bientôt. mp
TIRAGE DE PORTRAIT
10 exemplaires numérotés de 1 à 10 + 2 exemplaires marqués MP et DM
Comment te peindre, camarade, sans pinceau, sans peinture, autrement qu’avec des mots. Est-ce une époque à verbe ou un temps pour les maux ? J’ai peur de le savoir. J’écris un roman, « nico nu » pourrait en être le héros, un homme en lutte contre le mauvais temps mais en phase avec l’aurore. Le voici, à l’inverse de mes personnages de fiction, plus fatidiques dans leurs costumes de romance, le voici dans son rire sans théâtre.
Je voudrais bien, Nicolas, faire de l’humour comme tu sais si bien le faire. Trop tard, l’époque ne convient plus. Juste suivre une pensée, et encore. Je suis plus près de Shakespeare que d’Aristophane, ou l’inverse. Un aveu : ce qui m’intéresse, mon frère d’armes culturelles, c’est la dimension dramatique. Le tragique de la comédie.
Vois, notre paix molle où beaucoup se résignent. Ne nous y fions pas. Je vois les travers futurs et cherche les hommes et les femmes d’aujourd’hui qui sauront prévenir nos enfants du danger et les rendront plus courageux. Je les cherche pour les voir et apprendre. Tu es un de ces hommes, Nico, je sais bien que ta vie est ton œuvre désormais, qu’elle patiente sans attendre. Le panthéon des hommes n’est pas forcément près du jardin du Luxembourg. On peut méditer en secret et en silence une gloire jalousée parmi quelques personnes de qualité, autour d’une table, près d’un feu, parmi des verres toujours remplis du sang de la guerre de la paix. Qu’on décore à tour de bras des volontaires poitrinaires, le bouton bombé, ne nous importe peu.
Nouvel homme aux images, je te vois dans des passés obscurs, mettant ta vie en jeu dans une expression franche et massive de paysan, dans une assertion lapidaire d’intellectuel retranché. Te voici dans la clandestinité, contre un pouvoir inique, impopulaire, aidant des peuples opprimés, des juifs, des anarchistes, des artistes, des musulmans, des penseurs ; ouvrant ta maison à des réfugiés, car notre aujourd’hui est une endurance quotidienne à l’oppression du politique et de son administration aux ordres.
Comme je descendais des Fleuves impassibles, Je ne me sentis plus guidé par les haleurs : Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles, Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs. Arthur Rimbaud – Le bateau ivre
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Chez lui, je l’ai observé. Il parlait au téléphone, assis dans un grand fauteuil, dans son salon atelier. Ses traits, que je n’avais plus vus depuis plus de dix ans, encore jeunes, marqués, derrière des yeux pénétrants, endurcis par des rigueurs. Dans sa demeure d’un autre âge, Nico est nu parce qu’il est seul dans sa tâche.
« Je n’ai pas peur de la pauvreté », m’a-t-il dit un jour dans une discussion. C’est une phrase sur laquelle je réfléchis souvent. Combien de gens, engoncés dans des réussites sécurisantes, voient dans l’artiste un fanfaron et dans l’art une occupation inconséquente ? Ah, la pauvreté et son spectre terrifiant, des face à face insoutenables pour des gens normés.
Comment leur expliquer que nico nu entretient sa faiblesse comme un jardinier ses roses. Jusqu’ici, elle ne l’a pas trahi ni desservi. La générosité de l’homme l’en a empêché. En 2012, à l’Imprimerie (encore un lieu disparu), rue Bretonneau dans le Vieux Tours, au terme d’une exposition de ses œuvres, il a préféré les prêter plutôt que de les rapporter dans son atelier et de les stocker. Elles vivent désormais chez les un.es et les autres. Que signifie un tel geste pour un peintre ? Quelle galerie réagirait de la sorte face au marché ?
Un idéaliste ? Je le vois plutôt comme le garant d’une lucidité. Il a le travail solide et bien trempé. Humaniste parfois survolté, j’aime ses airs lunatiques qui lui permettent de relativiser et de repartir vers l’humour.
Demain peut-être d’autres résistances seront nécessaires avec d’autres résistants. À nous, hommes et femmes de conviction et de foi, de les y préparer en souvenir de ceux qui ont laissé dans nos mémoires les élans vrais de l’héroïsme.
Quatre temps marquent les pensées de trois personnages.
Le premier d’entre eux, un chercheur, gardien de l’arbre, retourne, bien des années plus tard et à l’hiver de sa vie, sur une même pensée et l’élève.
Après sa mort, Ariane, sa fille adoptive, reprend le fil de ses réflexions et celles-ci trouvent une issue dans un futur incarné par un scientifique voyageur du temps à la recherche de ses origines.
Il revient près de l’Arbre et d’Ariane pour découvrir un sentiment dont il ignorait tout, l’amour, mais aussi que l’immortalité a ses limites.
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Voici le plan, je vous l’ai livré tout brut :
« Il est dans l’Histoire, il recherche l’antidote… »
La première partie est derrière nous Quelques ficelles la composent C’est dire sa fragilité Ceci n’est qu’un avertissement Un guide raisonné Pour un essai de science-fiction Donc rien de bien méchant Sinon les scènes atroces Il faut retenir le public Le meurtre ne suffit plus Le sexe est dévoyé Restent les larmes et la misère Succès assuré Mais ce n’est pas la voie que je veux vous faire emprunter
L’amour Oui bien sûr Garçon ou fille C’est d’un enfant dont il est question Revenons au récit Le plan est mal foutu C’est une chose entendue Que cela reste entre nous J’ai encore mis la charrue en première ligne Recommençons
Il était une énième fois en l’an 54812 Cinquante quat… Trop long Et se souviendrait-on encore du Christ De la Chine ou des prophètes ? Le sujet est celui du recommencement Je n’aurai de cesse à le dire À défaut on fait du sur place Ou pire encore on ne recommence rien du tout Ce n’est pas le sujet D’habitude on détruit tout Longuement Plus longuement même que l’on ne reconstruit À croire que seules la guerre et la violence n’aient de réel intérêt Facile Ombre, nuit, sale, menaçante, solitude, torpeur La lune noire On peut faire plus sombre encore Corps mutilés Êtres déportés J’en passe Pas plus cher
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Mes personnages aimeraient vous emmener jusqu’à vous-mêmes Ambitieux, n’est-ce pas ? Ils veulent vous surprendre dans votre Vous caché Rien ne dit qu’ils y parviennent Un démon peut en cacher un autre Et puis qui sait ? Le jeu des influences…
Une seconde… Nous sommes au début des années 2000 Le siècle a merveilleusement commencé Nous n’en sommes pas encore au recommencement Pour continuer le roman il faut détruire la terre et l’humanité En soi, il devrait y en avoir pour des chapitres entiers De quoi nourrir l’industrie cinématographique Pour l’éternité Et aussi pour ceux qui n’auraient pas compris pourquoi ils sont encore là Et qui se repasseraient le film Revoir la fin qui dure tout le temps Jolie perspective…
On va dire que c’est ainsi Que l’homme est allé trop loin Que la femme l’accompagne Mais que son bonhomme est vraiment trop « bête » La femme est belle Et je l’aime trop pour la charger de nos morts Et à plus forte raison de la mienne Douce créatrice Belle créature Jolie création…
Oui, un projet littéraire, parce qu’aujourd’hui beaucoup de choses fonctionnent sur le mode du projet. La recherche d’un boulot, l’écriture d’un scénario, un futur événement, une entreprise en gestation, une architecture d’avenir, j’en passe, tout est possible et vaguement probable, à tel point que les bureaux d’innovation sont remplis de projets inaccomplis.
Les écrivains ne s’en font même plus, ils envoient des « projets littéraires » aux éditeurs, en attendant que ceux-ci leur donnent un blanc-seing et l’à-valoir qui l’accompagne.
Alors, appelons ça comme ça, un projet littéraire…
J’aime bien quand le titre détermine le récit. Un mot me parvient, il roule dans ma tête pendant des semaines, des années parfois, il accroche tout sur son passage et finit par devenir une sorte de boule si compacte qu’elle ne demande qu’à exploser. Je ne sais plus, mais ça fait un bail que ce titre m’a sauté à la figure et s’est enraciné dans ma conscience. Il fallait bien un jour que je le sublime et en exploite le sens.
J’avais déjà tourné autour de cette manière d’aborder un roman, comme par exemple en utilisant des bribes d’ouvrages inachevés qui traînaient dans mes tiroirs. Là, c’est différent, j’ai commencé une approche par touches successives, presque sans but, abstraitement, et je progresse à l’aveuglette. Je peux ainsi développer des personnages, petit à petit, interroger leurs capacités, magnifier des liens entre eux et tenter de comprendre leurs conditions d’existence. S’il faut un contexte, je l’imagine réaliste dans une temporalité que je pressens peu éloignée de nous.
Le thème, s’il en est un, me parait hybride. Tous les genres peuvent s’inviter à la narration, comme je l’avais fait dans ÉLÉPHANTS. Dans ce dernier roman, la rencontre entre les caractères est rythmée de manière aléatoire puisqu’ils n’ont pas été conçus ensemble mais séparément. Ainsi, ils se répondent selon des contextes narratifs différents. Dans Les ÉCLAIREUR.ES, le processus est pour l’heure indéfini. Je n’ai qu’une très vague idée de ce que j’écris et, à vrai dire, c’est une méthode qui me convient très bien. Je ne suis pas un planificateur de romans, tout est à l’inspiration.
Vous m’avez compris, ce n’est donc pas un projet mais une réalité en cours, ou une promesse, si vous voulez.
Voici le début en quelques lignes encore modifiables. Si un autre commencement remplace plus tard celui-ci, ce n’est pas important. La curiosité favorise les changements, et ceux-ci nous permettent d’avancer.
Ensuite, chacun se fait sa propre idée du progrès.
Nous nous reverrons bientôt.
Bien à vous.
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Les ÉCLAIREUR.ES
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C’est à cet instant précis que c’est arrivé.
Ils se sont immobilisés sans en avoir pleinement conscience. Pour vous donner une image, disons que c’est un peu comme dans ces films d’anticipation, ou de magie, quand les personnages sont au ralenti alors qu’autour d’eux l’environnement accélère, ou l’inverse, sauf qu’une autre dimension appuierait la scène. La dimension du « comprendre ». À moins de bons comédiens, peu de cinéastes sauraient traduire cet « hors limite » où les cerveaux de ces personnages se sont éveillés en même temps.
Le
corps n’est rien.
Ils restaient en cet endroit du globe sans y être.
L’événement s’est produit et ils se sont séparés avant même d’avoir pu se parler. Ils se sont reconnus sans se voir. Un moment s’est cristallisé sur leur existence et une photo mentale a été prise. On les voit apparaître de dos ou de trois-quarts. Cette image imparfaite continue de circuler comme une onde sur la mer. C’est ainsi que le mythe est né.
Des années s’écouleront, juste assez pour que chacun ait oublié ce phénomène mais pas assez pour qu’une évocation de ce bref éclair de leur vie ne les laissent à jamais indifférents.
Le destin va de nouveau les réunir. Cette fois-ci, ils comprendront pourquoi ils ont changé et la raison de leur première rencontre.
Luc Lejour : Michel, tu postules à la direction du CCC OD (Centre de Création Contemporaine Olivier-Debré) de Tours qui sera vacante dès cet automne 2019.
Michel Pommier : Oui, je vois sur ton sourire une pointe de surprise, mais tu sais, quand une amie m’a envoyé l’offre de Profil Culture ça m’a aussi amusé. C’était tellement imprévu comme information, et puis le Centre de Création Contemporaine Olivier-Debré n’est pas une petite structure, la diriger nécessite un bagage. Disons qu’après l’étonnement, ou l’amusement, j’ai commencé à y réfléchir d’un peu plus près, ce qui m’a permis, premier point très positif, de revoir mon parcours de vie.
L. L. : Tu as, je suppose, sacrifié au traditionnel CV.
M. P. : Et à la lettre de motivation. Ça m’a renvoyé pas mal d’impressions, parce que j’ai déjà eu affaire, comme beaucoup d’entre nous, au parcours du combattant de la recherche d’emploi, à la différence qu’aujourd’hui je ne suis pas dans une telle logique. Disons que cette offre est une opportunité pour proposer une direction différente de celle qui existe actuellement, et qui s’en va dans quelques semaines.
L. L. : Peux-tu nous dire comment tu vois les choses ?
M. P. : Si je m’en tiens aux documents mis en ligne par l’Association française de développement des centres d’art, le CCC OD a une mission de soutien à la création. Alors ça passe par l’expérimentation, évidemment, c’est un laboratoire pour des artistes émergents à découvrir et à épauler, et ça c’est très motivant de pouvoir suivre l’évolution d’une œuvre et de lui apporter son concours. C’est vraiment une mission d’intérêt général, vis-à-vis des personnes qui s’engagent dans la voie de l’art contemporain comme pour le spectateur.
Vue de l’intérieur de l’extérieur
L. L. : C’est en fait un lieu de spécialisation.
M. P. : Oui, et non. Oui parce qu’on peut réduire l’art contemporain à une certaine élite intellectuelle, formée à une discipline et à une médiation ciblée ; et non, parce qu’il y a des ponts avec d’autres pratiques. Tous les artistes sortant des écoles des Beaux-Arts ne suivent pas forcément un cursus dédié ; certains bifurquent vers d’autres instruments culturels et s’emparent de disciplines très diverses, comme l’agriculture, par exemple. Nous assistons à une redéfinition du rôle de l’artiste dans la société, et ça c’est assez enthousiasmant parce que ces perspectives me donnent envie d’explorer le champ de la présentation d’œuvres et d’ouvrir sur de nouveaux horizons, avec les artistes, bien sûr, mais également avec d’autres forces de proposition. Mais je serai discret pour le moment parce que les idées sont volatiles et parce que j’ai l’impression que les schémas les plus classiques tournent autour d’une grande solution sans l’atteindre.
Au dos de l’ancienne école des Beaux-Arts il y a un parvis extraordinaire pour des spectacles extraordinaires
L. L. : Une grande solution ? Tu penses qu’il y a un problème à résoudre ?
M. P. : Oui, en quelque sorte. Nous assistons depuis quelque temps à une désaffection du public pour l’art contemporain, voire des artistes eux-mêmes. À Tours c’est très notable, il suffit d’interroger les Tourangeaux, aussi bien dans le milieu culturel que dans la rue pour se rendre compte à quel point la rupture entre notre centre d’art et son public est consommée, si tant est qu’une rencontre s’est établie.
L. L. : As-tu une idée des raisons de cette rupture ?
M. P. : Bien sûr, je crois que le modèle est dans sa phase d’obsolescence. Certes, il a apporté beaucoup, on doit également reconnaître le travail accompli par ceux qui ont réussi à amener ce magnifique outil culturel qu’est ce centre d’art jusqu’ici, mais ce modèle doit muter pour rattraper le présent et aborder le futur. Une prise de conscience est donc nécessaire, en actes.
Un bâtiment peut en cacher un autre
L. L. : Qu’est-ce que tu proposes ?
M. P. : La première chose réside en la volonté de générer une dynamique territoriale qui tarde à prendre forme. Encore une fois, il y a des attentes, il faut donc les satisfaire et non les ignorer. Mais tu vois, Luc, il y a tout de même un problème de taille. Une telle candidature est forcément surveillée de très près par un certain nombre d’instances parce que le poste représente un pouvoir culturel. Je te dis ça quand pour ma part le pouvoir ne m’intéresse guère. Je suis pour un mouvement pluriel et collectif. Je pense avoir maintenant assez d’expérience pour diriger administrativement un tel lieu et le définir dans ce que j’appellerais « un chemin de sens » avec les forces en présence, et pour commencer avec l’équipe du CCC OD, mais aussi grâce à des intervenants extérieurs capables de donner à la structure le mouvement qui lui fait défaut aujourd’hui.
L. L. : Tu voudrais donc ouvrir la programmation et ne pas être l’unique directeur artistique.
M. P. : Tu te rapproches mais ce n’est pas tout à fait ça. Les cartes blanches existent déjà, et des artistes eux-mêmes peuvent devenir curators, ce n’est pas nouveau mais c’est assez rare. Ça donne cependant de très bonnes expositions et je reproduirai ce schéma. Non, il s’agit d’autre chose. Je pense pouvoir interroger la distance qui sépare les œuvres des artistes du public et formuler une expérience inédite.
Un coin de paradis
L. L. : C’est ce que tu me disais avant cet entretien au sujet du PAC (Projet artistique et culturel).
M. P. : C’est en effet un des fondamentaux de la candidature, toutefois il m’est assez difficile de l’exposer ici, d’abord parce que je suis dans une phase d’élaboration, d’autre part parce que les idées sont très recherchées et qu’en la matière j’en ai déjà laissé pas mal s’échapper qui profitent à d’autres, tant mieux pour eux. Par ailleurs, tu sais que je soutiens depuis le début le Bateau Ivre ; les expériences auxquelles je pense peuvent ô combien s’inscrire dans son programme. La seule différence c’est que le Centre de Création Contemporaine, reconnaissons-le, est la structure la mieux adaptée en ce moment à Tours pour produire certains types d’expériences formelles, ou plastiques, qui n’ont pas encore été tentées. Ni à Tours, ni nulle part, d’ailleurs.
J’ai toujours aimé les maquettes
L. L. : Tu peux nous éclairer au sujet de ces expériences ou est-ce un secret ?
M. P. : Je m’en suis déjà ouvert avec quelques artistes qui comprennent le processus. Pour la plupart, j’ai déjà leur soutien et quelle que soit l’issue de cette candidature, c’est très motivant. Par leurs qualités de créateurs, ils sont les premiers à saisir l’opportunité d’une nouvelle pratique en matière d’exposition, et puis leur curiosité est sans limites. Si je passe l’examen ils ne pourront que s’en réjouir, et les spectateurs aussi, mais je ne te dirai pas exactement pourquoi. Je garde mes meilleurs atouts pour l’oral, si tant est que j’accède à cette étape de la sélection, parce qu’il me faudra bien abattre quelques cartes. Pour t’éclairer, je suis surtout dans une logique de permissivité. Au-delà, administrer le CCC OD ne me fait pas peur, j’ai maintenant assez d’expérience dans beaucoup de domaines pour envisager sereinement la reprise de sa direction.
Promenade estivale
L. L. : Tu parlais de territoire…
M. P. : C’est une autre donnée essentielle, et elle dépasse le cadre de l’art contemporain parce que la dimension sociétale prend en compte des paramètres aussi bien sociaux que politiques, voire écologiques. Mais tu vois, à mesure que j’y pense, c’est la neutralité qui m’intéresse dans le cadre de cette direction. Mes nombreuses militances ne peuvent réellement s’inscrire dans le pilotage du CCC OD. Je les garde pour ce que je suis, c’est-à-dire un citoyen, et il ne faut pas s’interdire de penser et de s’exprimer. C’est encore possible en France et de toutes les manières aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement en raison de de ses opinions politiques. Je ne m’inquiète pas pour ça, ni pour mon âge d’ailleurs puisque j’ai le même qu’Ursula von der Leyen, la nouvelle présidente de la Commission européenne. Ceci dit, à l’intérieur d’un cadre institutionnel, à défaut de faire des compromissions, je ferais les concessions nécessaires afin d’ouvrir le débat artistique à toutes les tendances. Sinon, pour revenir au territoire, là encore l’ouverture est vitale pour l’avenir du Centre Debré. Si les artistes sont créateurs, ils emploient aussi des matériaux et des techniques. Si on imagine des réalisations importantes, et donc intéressantes pour l’économie locale, il n’est pas vain d’espérer qu’une nouvelle main d’œuvre voie le jour. J’ai en effet une idée pour la cité. Je pense que les décideurs locaux attendent un nouveau développement pour les années à venir. L’art est à mon sens une composante qu’il ne faut pas négliger, comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui. Pour faire taire une idée reçue, je dirais que l’utilité de l’art est certaine.
Au jardin François 1°
L. L. : Ce discours va-t-il dans le sens de l’institution actuelle ?
M. P. : Ça dépend de ce que tu entends par « institution ». Si tu en appelles à l’intérêt général, alors oui, mon « projet » va dans ce sens. Si tu penses à un réseau fonctionnarisé, alors je devrais le convaincre parce qu’il agit en circuit fermé. C’est vrai que le marché, les jeux de pouvoir et la politique sont très présents dans ce milieu, ce n’est un secret pour personne. Les artistes et les curators eux-mêmes s’emparent de plus en plus de ce sujet, dans lequel l’élitisme est critiqué. Le curseur commence à bouger, c’est le moment de pousser un peu l’air du temps vers le bon côté. Ceci étant, je reste un citoyen et un contribuable comme les autres. J’ai confiance dans les valeurs de la démocratie et c’est en ce sens que je postule au CCC OD.
L. L. : Tu dis cela parce que tu penses avoir des chances d’être retenu à la fonction de directeur ?
M. P. : C’est bien difficile à dire et à prévoir, mais j’aime assez le défi. Ce « chemin de sens » artistique est pour moi un enjeu cohérent qui dépasse la fonction. Et puis l’art porte en lui une dimension ludique, le public attend aussi des événements étonnants ou joyeux, ce n’est pas antinomique. Enfin, pour répondre plus précisément à ta question, si j’en crois les inévitables rumeurs, mes chances sont très faibles, pour ne pas dire nulles.
Monsieur Olivier Debré était un monsieur souriant. Parmi les porteurs, Yanek Chomicki, au milieu de l’image et avec sa manche droite relevée sur l’avant-bras, un bon camarade de cette époque, nous sommes en 1991. Photo perso prise pendant le visionnage d’un documentaire sur le peintre tourangeau.
L. L. : Si les jeux sont faits, quel intérêt pour toi de te présenter ?
M. P. : J’ignore si les jeux sont faits mais c’est probable. Disons que c’est une question d’égalité des chances. N’oublie pas que j’ai été, par le passé, et quasiment dès son ouverture, ouvrier au CCC de la rue Racine, avant d’être en charge de sa régie technique. J’aime bien penser qu’un ouvrier dispose des mêmes chances qu’un membre influent d’un réseau, en l’occurrence culturel. Ne pas être retenu m’importe peu ; face à un adversaire loyal la défaite est honorable. Ce sont le chemin et les rencontres qui comptent, et l’espoir du changement. Nous sommes dans un pays qui a une grande devise, l’Égalité, et c’est primordial lorsqu’il s’agit des chances de chacun. Bien sûr, il y a forcément de la concurrence, certainement venant aussi de la part de gens de talent, ça je n’en doute pas, mais certain.es candidat.es pourraient avoir une longueur d’avance sur le processus de sélection, c’est humain. Les sociétés se construisent souvent sur des réseaux, il n’y a qu’à observer en politique. Cependant, j’ai autant qu’un autre les qualités pour diriger le CCC OD. J’ai donc le droit à la même écoute que le plus influent de mes concurrents. J’irais même jusqu’à lui dire, dans un esprit de compétition sain, et Dieu sait si je n’aime pas faire la course : « Vas-y, fais-voir ton projet que les gens comparent et en discutent ».
Clin d’œil à Pier Barclay – Montage photo par Dominique SPIESSERT
L. L. : Te poserais-tu en franc-tireur ?
M. P. : Pas du tout. Je suis conscient de la charge à venir si je l’atteignais. Cependant, face aux épreuves, il faut faire preuve de confiance en soi. Quand on prend le départ d’un marathon, il faut entraîner le corps et préparer l’esprit à fournir un immense effort. Je crois qu’un modèle économique ambitieux peut être mis en place à partir du CCC OD avec des répercussions importantes pour le territoire, donc pour et avec les hommes et les femmes qui l’habitent. L’époque n’est plus aux demi-mesures, il y a des échéances importantes au niveau local comme au niveau mondial. Je veux bien qu’on dise que je suis un « outsider », surtout pas un franc-tireur, ce serait faire l’impasse sur mon sens des responsabilités. Tu vois, je pense que le débat autour de la prochaine direction du Centre doit dépasser le cadre fermé de son institution pour aborder l’avis du plus grand nombre. Mes concurrents sont libres ou non de se dévoiler, c’est leur affaire, en tous les cas j’ai décidé d’avancer à visage découvert. Si le public n’est pas en mesure de décider ni de voter pour la prochaine direction du CCC OD, puisqu’elle est du ressort d’une association légitime, il a le droit de participer au débat et se faire une opinion sur ce qui lui est proposé.
L. L. : Quel sera ton geste d’ouverture ?
M. P. : Ta question contient la réponse. J’imagine une expérience ouverte à tous les artistes de la région. Tous ceux qui voudront venir s’essayer sous les cimaises du Centre Olivier-Debré seront les bienvenus. Artistes confirmés ou non, connus ou méconnus, issus d’écoles ou autodidactes, performeurs ou « installationnistes », peintres ou graveurs, vidéastes, curators ou historiens, journalistes ou blogueurs, écrivains et philosophes, comédiens ou musiciens, il y a assez de place pour tous, et même pour des invités d’autres régions ou pays. Le mode d’accrochage sera aléatoire et le public sera convié tous les jours à participer, à donner son avis, voire même à se mêler de ce qui ne le regarde en général pas. Je veux que ce soit un joyeux bazar, convivial autant que sérieux, et que du matin au soir tard une vive émulation s’empare du lieu. Une sorte de confrontation ludique où nous verrons la création régionale à l’œuvre, et là, tu verras, l’émergence si chère au Ministère de la Culture verra le jour. Même les marchands et les collectionneurs viendront, nous les attendrons, ainsi que les entreprises et les mécènes. Évidemment, durant cet événement qui pourra se dérouler sur plusieurs semaines, voire des mois, les portes seront ouvertes et l’entrée gratuite afin qu’il se passe quelque chose et que les répercussions dépassent le simple cadre de la ville. En attendant les hôtels, chacun pourra venir planter sa tente dans le Jardin François 1°, et s’il est trop petit, on trouvera les terrains pour accueillir tout le monde. Tu vois, il y a en France des expériences très intéressantes, je pense à Montpellier où le camarade Nicolas se donne du mal. Il faut donc aller beaucoup plus loin et j’ai le recul nécessaire pour inventer de nouvelles formes d’expositions. Si je te mets l’eau à la bouche, je ne t’en dirais pas plus parce que je suis aussi un concepteur et que je dois garder le meilleur pour le début. Et pour rassurer les financeurs, je saurai leur expliquer que l’expérience sera au-delà du « rentable », même si je déteste ce mot. À un moment ou à un autre je sais bien qu’il faudra bien parler d’argent et je n’ai aucun tabou sur ce sujet. D’ailleurs, ma gestion sera transparente. Je n’oublie pas l’effort financier qu’ont déjà fait les Tourangeaux pour le CCC OD. Je veux leur rendre au centuple ce qu’ils ont consenti. N’oublions pas que ce lieu leur appartient. Mon projet, tu l’as compris, est autant dédié aux artistes qu’au public. Quoiqu’il en soit, la compétition est ouverte. Que le meilleur projet gagne.
Je suis un être délabré Ma bouche a oublié ton goût sucré Dans ta demeure d’avant les murs ont perlé D’une soif au regard décharné
Derrière la porte de l’escalier J’ai humé ton parfum d’antan Je t’ai imaginé dans ta robe de jeune fille Et défait tes boutons nacrés
Ce n’était qu’une pensée diffuse Une envie de te renaître Et comme le spectre de nos amours J’ai entendu glisser ta robe
Cette chair si tendre Passée au tamis de l’attente Plaquée au mur de mon désir S’est fanée sur la table de nos ébats
Le café s’est noyé dans l’eau de rose Un bas a filé Mais des fleurs d’hiver couvrent tes reins Et mon cœur repose sur ton sein
J’ai parcouru ces pièces vides Flirtant devant des vitres mouillées Et baignées de natures mortes Comme des odalisques lascives
Reste indécise et nue de moi Souffle ces bougies antiques Et bois dans des coupes de cristal Le miel amer de mes vingt ans
Ouvre les battants, mon indécise Et ravive les ruines de ma passion Prise dans les rets de ta nature Allongée sur le carrelage de la salle de bain
Dans le salon la chaise est dressée comme un gibet Sur lequel tu puniras mon habit Mes bottes et mon épée Pour un lacet défait
Je ne cesse de contempler ton visage Revenu cette nuit me hanter D’un sourire abîmé de temps De noces et d’éternité
Reste assise dans ton coin Ta chemise s’est échancrée Sur ton cou insaisissable Où se perdent mes baisers
Mes mains vacillent au vent de toi Et agrippent une illusion qui ricane Derrière les grilles de ton jardin Où de noires couleurs résistent
Laisse-moi, je t’en supplie Contempler cette nudité Qu’une porte entrebâillée Se plait à refléter
Ne sois pas si indécise, ô ma muse Et cède de toute ton âme A cet être délabré Qui revient pour mourir près de toi
CHRYSALIDE
***
Ce texte est inspiré des photographies de la série « Rue Bel-Ébat » de Tiphaine Populu de La Forge, exposées du 8 au 30 mars 2019 à la galerie La Boîte Noire, 57 rue du Grand Marché à TOURS, dans le cadre de l’exposition « natures in.dociles », avec l’artiste plasticienne Malou Ancelin.
Avec mes chaleureux remerciements à Tiphaine pour son autorisation de publier ses photographies.
Photo par Dainis Lejins – http://www.trekearth.com/members/dainjaaks/
L’AUTOROUTE
Une ville longue de ville en ville Une bande de macadam déshéritée Des fermes et des villas à perte de vue Sans portails Sans clôture Des cabanes et des tentes Un trafic lent, qui circule de bras en bras Au son des sabots Un paysan habite là Au milieu du paysage Des guérites d’épiciers Et des auberges alignées Un objet est transmis Il passe de main en main Il avance Un chargement Il est charrié De porte en porte Des voyageurs vont et viennent De chambres d’hôtes vers d’autres Tout arrive Le matin et le vent La lumière et l’été C’était bien, avant Ça s’appelait une autoroute Je l’ai empruntée Enfant Je passais sous des ponts En voiture Sous des passerelles vides Aussi lisses que l’océan Ici, là-bas et plus loin encore Les arbres étaient les mêmes Les champs identiques Et le tourisme esclavagiste Tous allaient au même endroit Et ne savaient Ni où ils étaient Ni d’où ils partaient Un satellite les guidait Alors que le temps nous emporte
Regarde La ligne n’est plus droite Elle serpente Penche et remonte Entre des cabanons Des palais et des entrepôts Des gosses, comme toi Jouent sur la route C’est une rue patiente Pleine de choses extraordinaires Venues de loin, de près Comme les gens qui passent Jeunes et vieux Voici le facteur Lui et sa bicyclette Ses roues sont réparées Il sonne à chaque foyer
L’asphalte a rendu l’âme À coups de pioches À droite autant qu’à gauche La terre à l’infinie Ressource et joie Des champs et des jardins Contre toute invasion Le progrès ralenti La vie réinventée La nature est restituée Il a fallu trancher Dans le talus Ouvrir la barrière Et couper sur quatre voies Ici Et là-bas Entre les deux, tout s’est arrêté Le camion, la citerne Le convoi et l’automobile Le péage s’est ruiné en excuses Une femme a tendu une corde Son linge en étendard Son chant est monté Jusqu’à la bande d’arrêt d’urgence Clamant la liberté
On voit encore marcher Au rythme du métal Et d’un pas de géant Des colonnes autrefois électriques Qui ventilent leurs hélices Et font un bruit sourd et placide Pour nous éclairer Au loin des forêts reviennent Elles chantent avec la biche L’épervier et le chat du voisin Et suivent le cours des eaux Où baigne l’aube des moulins C’est l’heure du déjeuner La tomate du jardin Cet été fera l’affaire En hiver le kaki s’ensoleillera Et la vache s’endormira Elle a donné sans compter L’amie des plaines et des herbages Le forgeron la prie Le cheval l’accompagne Ils ont cessé de croire Qu’un dieu les dompterait Non ! Le Ciel est avec eux
Vois La bande noire est tailladée Les lignes blanches ont disparu Au profit des marelles Il suffit du sud ou du nord D’une étoile et de rencontres La marche ou la course Le jour au labeur La nuit se tait La route s’endort Les foyers fument Boivent et mangent On crie, on rit, on danse À l’air du temps À l’atmosphère Oublieux de ce qu’était l’autoroute Une bande de macadam bruyante Polluée, dévastatrice
Tu les entends Tes camarades égaillent la voie Filles et garçons Dans une poussière d’or Ça n’existait plus, ces joies simples Seulement pour quelques un.es Caché.es de peur Sur des îles Dans des trous Loin, loin des êtres normaux Des gens comme toi et moi Sacrifiés et vendus Et puis nous sommes intervenus Avec notre seul courage On a coupé l’autoroute C’est rien, vois-tu Récupérer ses droits Reprendre goût à la terre Au blé des faucheurs Au pain du meunier Il suffit de quelques planches Elles repousseront Du verre et du fer Des autos par millions Laissées et délaissées Et l’ami forgeron Et l’ami menuisier Bling-Blang Du travail tout au long Un toit sur mille kilomètres Une poignée de main qui n’en finit pas Des femmes cheveux au vent Des hommes en liesses Et nos enfants jouent à apprendre À l’école de la vie
C’était en 1974, je crois, j’avais 14 ans et j’allais à l’école dans un collège de Birmingham. Filles et garçons, sur le revers de leurs blazers bleu marine, arboraient tous fièrement le badge d’Aladdin Sane, sur lequel le visage de Bowie est strié d’un éclair orange et bleu. Désormais pour moi, la musique avait un sens, un son et une émotion.
En 79, trois ans après David, j’étais à Berlin. En écoutant Heroes, j’ai l’impression que nous avons ressenti tous les deux quelque chose de similaire, comme un sentiment d’une intense liberté, exacerbée face à la menace omniprésente du mur et de ce que sa présence signifiait.
Sa mort encore récente m’a réellement affecté. Il était un compagnon de route lointain et proche à la fois, comme le sont tous les artistes que nous admirons et que nous ne rencontrons jamais.
En souvenir de cette rencontre qui n’a pas eu lieu, moi qui suis sans voix, j’ai voulu interpréter avec mes mots un de ses plus grands succès :
***
HEROES
Moi, je serai roi Et toi, reine
Qu’ils nous assiègent ! Et pour une fois nous les battrons Nous pouvons être des héros Juste une journée
Toi, si dépourvue Et moi, ivre du soir au matin Nous sommes amants Oui, des amants que tout sépare Nous pourrions en profiter, juste une fois Nous serions à jamais des héros Tu veux ?
Moi, je voudrais te voir nager Comme les dauphins… ils savent si bien nager Rien, rien ne nous retient Luttons, jusqu’à l’éternité Oui, nous serons les héros du jour
Moi je serai Roi Et toi ma Reine Si rien ne peut les arrêter Soyons des héros, en ce jour Tous les deux, rien qu’une fois
Moi, je m’en souviens
Nous étions si près du mur Les armes crépitaient au-dessus de nos têtes Et nous nous embrassions Comme si de rien n’était Honte à eux
Et nous, en paix, encore et encore Tels des Héros, pour toujours Oui des héros Pour une unique et belle journée
We can be Heroes We can be Heroes We can be Heroes Just for one day We can be Heroes
Nous ne sommes rien, et nous avons si peu La mort va nous coucher Tu ferais mieux de fuir Mais nous serons si bien Une journée entière
Ohohohoh Yes We could be Heroes Just for one day
***
Live in Berlin, 2002.
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Crédit photographique : en haut et à gauche deux photos de Bowie à Berlin, l’une en 76 l’autre en 87, par Denis O’Regan (www.denis.co.uk). En haut à droite : Brian Eno et Robert Fripp travaillant sur Heroes avec Bowie en 1976 (photographe ?), et en bas à droite : Bowie photographié par Masayoshi Sukita, comme sur la couverture du single « Life on Mars » sorti en 1973.
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