ASEEL KABARITI

Bande de Gaza, le 26 septembre 2021

Pour les enfants de Gaza, c’est travailler ou mourir de faim.

Le travail des enfants est une dure réalité, mais pas totalement négative.

Le travail des enfants peut prendre diverses formes. Le cliché généralement admis est celui de l’enfant à l’usine, mais parfois c’est celui d’un adorable gamin qui vous tire la manche au marché.

“S’il te plaît, tu m’achètes de la menthe ? » me demande un jeune garçon coiffé d’une coupe de cheveux « cool » et arborant un sourire chaleureux.

Il fait beau et le marché d’Al-Shejaiya est très bruyant, il y a foule autour des bancs et les vendeurs comme les acheteurs marchandent à qui mieux mieux.

« Je vais plutôt prendre une photo de toi. », dis-je, attrapant son radieux sourire dans mon appareil.

Ma petite sœur veut que je publie sa photo sur Instagram. J’hésite. Publier une telle photo, sensiblement attrayante, ne risquerait-il pas de normaliser le travail infantile plutôt que d’attirer l’attention sur lui ?

Le travail des enfants à Gaza

Selon un rapport de l’UNICEF datant de 2018, presqu’un tiers des familles palestiniennes vit sous le seuil de pauvreté — le chômage atteint 53,7 % dans la bande de Gaza.  Depuis la pandémie, la situation a empiré. A cause de ça, le nombre d’enfants travaillant dans le magasin de leurs parents ou comme vendeurs de rue a dramatiquement augmenté. Au coin des rues les plus populaires de la ville de Gaza, tu verras toujours au moins un gamin supplier les passants de lui acheter sa marchandise. La plupart de ces pauvres gosses n’ont pas d’autres choix, et il est tout à fait probable qu’ils assurent à eux seuls l’unique revenu de la famille.

Le travail infantile est-il toujours une calamité ?

L’Organisation Internationale du Travail définit le travail des enfants comme toute activité « privant les enfants de leur enfance, de leur potentiel et de leur dignité, et s’avérant dangereux  pour leur intégralité physique et mentale. »  La Convention (n° 1973) « fixe l’âge minimum général d’admission à l’emploi ou au travail à 15 ans (13 ans pour les travaux légers). »

Je ne voudrais pas faire l’avocat du diable, mais ces définitions, bien que moralement bien intentionnées, échouent lorsqu’il s’agit de considérer les conditions spécifiques et les expériences au cas par cas auxquelles est soumis un enfant au travail. Trois points fondamentaux sont à considérer :

Premièrement, ces organisations internationales ont fixé l’âge minimum pour le travail des enfants sans analyser les circonstances spécifiques à chaque pays. Beaucoup de familles à Gaza dépendent entièrement de l’aide essentielle fournie par leurs enfants afin qu’elles puissent joindre les deux bouts, et surtout se procurer eau et nourriture. Si les lois internationales étaient ici suivies à la lettre, ces enfants seraient prémunis contre le travail mais leurs familles mourraient littéralement de faim. Quand on se retrouve à faire un choix entre un membre de sa famille en train de mourir de faim et le travail d’un enfant qui pourrait l’éviter, que choisiriez-vous ?

En deuxième lieu, plusieurs règles s’opposent lorsqu’il s’agit de décider si un travail infantile est bon ou mauvais pour l’enfant. Par exemple, la société permet aux enfants de travailler comme modèles publicitaires, musiciens ou acteurs, mais leur refuse toute présence dans un magasin ou un entrepôt. L’argument étant de dire que travailler dans de tels lieux les priverait du droit à l’enfance et ne leur permettrait pas de développer la moindre aptitude.

Seulement, travailler dans un magasin ou vendre des marchandises à des clients peut bien évidemment aider un enfant à grandir en apprenant, à s’exercer dans la communication, à s’émanciper et acquérir des facultés commerciales.

Troisièmement, travailler et aller à l’école n’a rien de contradictoire. En fait, la plupart des enfants qui travaillent vont à l’école. Le travail les aide dans leur apprentissage, tout particulièrement en cette période qui oblige à savoir utiliser les services du net afin de compléter le processus éducatif — surtout pendant le confinement dû au Covid 19, qui a proposé la plupart des cours en ligne.

Que devrions-nous faire ?

Cet enfant, que ma petite sœur et moi avons rencontré au marché, est forcé de passer son enfance au travail. Pourtant, alors qu’il ne devrait pas autant travailler, sa famille peut survivre. Criminaliser le travail des enfants à Gaza n’est donc pas une solution. Nous savons bien que les conditions sociales, économiques et politiques qui façonnent la vie des plus jeunes Gazaouis sont à des années-lumière de leur capacité à pouvoir les contrôler. La solution est dans l’aide économique et la création d’emplois, qui doivent être suivies d’un parcours éducatif et social adapté. Ceux qui sont obligés de continuer à travailler acquièrent par eux-mêmes une plus-value éducative ; il faut donc cesser de les croire si différents de ces enfants acteurs ou musiciens.

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Version originale en anglais sur WANN

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