OR LA LOI – II

     Encore un extrait contaminé. Quand je vous dis que c’est une véritable obsession. Après, tout ça n’est qu’une histoire de traitement. Pour mon personnage, c’était pas un problème, suffisait de penser : solution. Si cet extrait d’OR LA LOI – II rappelle quelque chose aux anciens, qu’ils me le fassent savoir.

Vous êtes prêt ?

***

Or la loi

 Monsieur le ministre
Voyez un peu
Un de la haute
Un aristo
Au tribunal
Le grand
Près la Conciergerie
Ça ‘vous rappelle pas
La Marie-Antoinette
Toutes les grandes dames
S’appellent Marie
Je m’écarte
J’en étais où
Ah oui le procès
Deux ans de procédure
Le sujet de l’affaire
Retraitement chimique
Dans un bled
Des autorisations
Signées sans regarder
Des pots de vin
Gros comme le Titanic
En avant la musique
Les gros travaux
Maestro
Une première plainte
Une instruction
Et une enquête
Responsabilité civile
Ou administrative
On cherche
Mais en fouillant un peu
Au aperçoit au fond
Qu’une petite commission
De faisabilité
Dépêchée à l’époque
Avait rendu son opinion
NON
Nous étions prévenus
Dès le début
Avant l’heure
Ce serait trop risqué
Pour la faune
Pour la population
Et le produit chimique
N’est pas au point du tout
Nous rendons notre avis
À Monsieur le ministre
Ce qui n’arrange pas
Les flux liquides
Alors vous savez quoi
On étouffe l’affaire
On remercie la commission
Bâillonne les associations
Tous les défendeurs de l’espèce citoyenne
Et pendant ce temps-là
Le produit se répand
Comme la misère
Sur le pauvre monde
Dans l’eau
Dans l’air
Sur les récoltes
Dans les maisons
On essaie d’enrayer le phénomène
De noyer le poisson
On parle de radiations étrangères
Mais le fait est là
Un premier village
Rayé de la carte
Puis un autre
Les communes alentour
Cela fait force bruit
Des périodiques qui s’y frottent
S’y piquent
Des manifestations
Les familles
On s’inquiète
Qui sont les responsables
Le directeur du centre
Qui se retourne contre le gouvernement
Le ministre
Qui dément
Et c’est l’affaire
On ne dénombre plus les morts
Les paralysés
Les paraplégiques
Et les myopathes
Les radiés
Et j’en passe
Tout le dictionnaire médical
N’y suffirait pas
La cour des miracles
Le Tchernobyl du XXI° siècle
À cent bornes de Notre-Dame
Procès
Ça cause
Réquisitoires enflammés
Endiablés
Endeuillés
Affiche complet
À chaque séance
On ne compte plus les appels
Les pourvois
On invente des procédures
Exceptionnelles
Rien que pour le ministre
 Enfin le jour J
Jugement dernier
Acquitté
Innocenté
N’a rien à voir
Avec tout ça
Tout blanc
Le Mônsieur
Ben voyons
Et les gosses difformes
À jeter aux ordures
Les femmes enceintes
Opérées d’urgence
Les hôpitaux bondés
De gens tout abîmés
Et les crèches en berne
Qui ont cessé de jouer
Les écoles en mouroir
Où s’enseigne la fin
Les salles dispensées de sport
Dont on se sert de dispensaires
Les mairies transformées
En cellules de crise
Et tous les chants
De ces opéras de misère
Les pleurs des spectateurs
Les offices funèbres
Qu’on rejoue à tous les actes
Les levers de rideau
Sur les gens esseulés
Qu’ont perdu leur conjoint
Leurs parents
Leurs enfants
Ainsi
Lorsque le verdict est tombé
Du siège des juges
Jusqu’aux lattes du parquet
L’humanité présente
Eut le droit de regagner la sortie
Alors
Les relents de dégoût
Dans les gorges serrées
Se sont déversés en clameur
Les gens se sont levés
Et tous debout
Se sont mis à cracher
Une salve d’horreur
Dans la salle aux audiences

*

 Je suis dans cette salle
Près du gars qui parade
On le félicite
Par ici
Tandis que par là
On le hue
On hurle au trucage
Mais il est sauf
Ne craint plus rien
Sa responsabilité
N’est pas engagée
Au premier rang on prend la pose
L’indignation est repoussée
Au dernier rang
Pas d’indemnisation
Pas aujourd’hui
Faut retourner chez vous
On a plus de chez nous
La morne plaine
Que tout le monde sorte
Qu’on évacue la salle
Les photos claquent
La presse
Comme d’hab’
Aux premières loges
Fini le triste Sire
Ministre a beau sourire
Vous comprenez
Je suis irréprochable
Je suis un grand ministre
Un parolier des hémicycles
Le ténor de vos mercredis
Je repars en campagne
Je suis présentable
Lavé
J’ai gagné
Dès demain
Près de chez vous
Et vive la France
 La foule
Je remonte sur ma moto
Empruntée pour l’occase
Mets le contact
Le casque
J’enclenche
Devant la grille
Du Palais de Justice
Du monde
Et des gendarmes
Des avocats
Et des juges
Des photographes
Des journalistes
La foire d’empoigne
S’il vous plait
Parlez plus près du micro
De celui-ci
Rapprochez-vous
Monsieur l’Ministre
Pour TF16
Toujours plus près
De mon joli pan pan
Et le coup part
Feu Monsieur le ministre
Sans autre forme de procès
En plein dans son joli nœud de cravate
Décoration
Grand-croix de la Légion d’horreur
Croyez-moi
Je n’ai pas attendu
Les félicitations du jury
Les acclamations du public
Les interviews à chaud
Roue arrière
En avant toute
Sur les pavetons de la peine capitale
Juste avant que n’arrivent les pandores
Avec leurs casques durs
Rien que pour moi
Messieurs
C’est trop d’honneur
Tout plein de beaux motards
Tout en bleu et en noir
 OK 
Vous voulez qu’on s’amuse
Que je me dis
Direction voie sur berge
À deux pas
De l’autre côté de la Seine
L’ai emmanchée à contresens
La Pompidou
Plein pots
Plein phares
Savent aussi piloter
Ces gars-là
J’ai intérêt à me magner
À donf ’ sur la gauche
J’use la béquille
Sur le trottoir
Ça frotte
Ça fait des étincelles
Comme dans une forge
Acier contre la pierre
Tu vas t’bouger
Ducon
Rien compris
Celui-là
Il va se vomir
Dans un bruit de ferraille
Une bétonneuse tombe à la baille
Moi je bourre
Une pointe à 180
Sous les Tuileries
S’attendaient pas à ce coup-là
Les dobermans
J’aime la surchauffe
Les moteurs bouillants
Qui vrombissent
La vitesse pure
Et le risque par-dessus tout
 Tiens, la garde républicaine
Qui me file le train
Toute une horde Cours la Reine
À la chasse au mandrin
Je passe sous le Pont d’Iéna
J’évite deux-trois connards
Qu’essaient d’me faire valser
 
Des héros
Qu’on dira dans la presse
J’arrive à Bir Hakeim
Il y a des travaux
Je glisse sur le sable
Et je me viande
Je lâche la bécane dans le fleuve
Devant les automobilistes médusés
Rétablissement
 
Vite
 
Des marches métalliques
Serties au mur du pont
Je monte à toute vitesse
Ça sent sacrément le roussi
Je n’avais pas prévu
Que j’allais me gaufrer
À cent quarante à l’heure
Plus vite
Rejoindre le 16°
Et me confondre dans la foule
Me perdre dans les rues
 
Trop tard
 
Voici la meute qui rapplique
Je cours
Ne sais plus où aller
J’ai entendu des coups de feu
On m’a tiré dessus
Vous connaissez la suite

***

***

OR LA LOI

Bonjour C, te voici donc juge et parti. Très bien, j’ai lu ton appel et j’y réponds avec plaisir et curiosité. J’avais envie depuis quelques temps de t’envoyer quelque chose à lire, donc cela tombe bien même si ce n’est qu’un aperçu, plus proche d’un synopsis que d’un scénario. Commençons par l’idée, après on verra si tu désires approfondir.

Je ne te parlerai pas ici du roman de cape et d’épée déjà débattu. Trop volumineux, trop de personnages, trop de lieux, trop de descriptions et, après réflexion, je n’ai guère le temps de me lancer dans une contraction de texte pour le moment.

J’ai donc choisi deux autres récits, ou deux idées si tu veux, pouvant avoir une ouverture sur la réalisation, sans souci de réalisme quant aux moyens à mettre en œuvre. A chacun son métier.

OR LA LOI   est un polar à la sauce poétique.

Je l’ai écrit lorsque Jospin était Premier Ministre. Cela a toute son importance. La plupart des thèmes débattus dans le récit découlent de faits divers qui se sont produits à cette époque et que j’ai pu lire dans Le Parisien ou recueillir à travers les discussions fortuites qui s’échangeaient au coude à coude sur les petits zincs de Paname. C’est le traitement bien-pensant de la politique d’alors, qui camouflait les vérités et dont les gens s’indignaient, que je dénonçais dans mes vers.

Après un bref aperçu de l’histoire, quelques lignes te donneront le ton.

« Un personnage de condition ouvrière troque son identité sur la proposition d’un de ses camarades mourant. Devenu un autre il devient justicier, prenant aux voleurs et rendant aux bonnes œuvres. Sa querelle motivée par un acte de terrorisme pendant lequel sa petite amie est décédée (des islamistes radicaux ont fait sauter la pyramide du Louvre), il « bute » sans sommation les coupables, puis les corrompus, les mafieux, les ordures, bref, tout ce qu’il trouve d’injuste avant de disparaître dans l’anonymat, reprenant une vie médiocre de chômeur, fondue dans la masse, seul. Après un « coup » où il est blessé, il trouve refuge sur une péniche chez une femme dont il partage un moment la vie et le travail au chalandage. Devant ses exploits, relatés par une presse friande de ce genre de chronique, un journaliste cherche désespérément à l’interviewer. »

 15 novembre 2009

§§§

OR LA LOI (Extrait)

N’est pas hors la loi
Qui veut
Question de karma
Le destin formule les existences
Les choix se profilent dans la réalité
Pas de fantasmes là-dedans
N’en déplaisent aux bourgeois
Aux désœuvrés
Aux éditeurs
J’ai tué mon premier homme
Il y a plus vingt ans maintenant
Je ne m’en serai guère cru capable
Si n’y avait eu cet événement
C’est drôle
Aujourd’hui tout est calme
Si calme
Je pourrais oublier
Et ne plus m’en soucier
Ici
Loin des heurts
Loin des hommes
Et de leurs connivences
Tout ça ne m’intéresse plus
J’apprends à renaître
A goûter les bienfaits de la vie
Je regarde Marie
Dans la cuisine
L’air est chaud sur le fleuve
La péniche est comme immobile
En suspension
Dans l’éther
Je profite de ces instants
Du détachement
Du lointain
Et de toutes choses
Marie s’affaire
Elle nous mijote un bon repas
Pour souper
Je suis torse nu
Je sirote une bière
Très fraîche
En attendant

§§§

Bonjour C,

T’entendre m’a procuré beaucoup de plaisir et même un certain réconfort. Je me demande si en répondant à ton message je n’avais pas profité de l’occasion pour te tendre une main et partager un moment avec toi.

Après, discuter de nos métiers, c’est du matériel. Mais à travers cela, il me semble vouloir ressembler à mes personnages, qui réussissent à se détacher du monde et inventer leur vie, loin des codes et des lieux communs, quitte à prendre des risques. Mon projet futur ― pour employer tes termes ―, et ce très certainement depuis l’enfance, est compris dans cette envie et tient tout entier dans mon quotidien. L’écrire n’est qu’une façon de l’exprimer comme une autre et je ne saurais dire pourquoi cette activité est celle que j’ai choisie. D’ailleurs je vois autour de moi des gens de toutes conditions qui n’ont pas besoin de reconnaissance pour connaître la plénitude et la partager.

Quand je te disais « tardif », je voulais parler de cette reconnaissance, à laquelle un écrivain peut prétendre. Cependant reconnaître un écrivain à la pile de papiers qui se trouve devant son nez n’est peut-être pas l’unique instrument de mesure pour se rendre compte de ses qualités. Une petite phrase bien enlevée vaut mieux que de longs chapitres fastidieux. Et surtout une pensée bien construite est préférable aux élucubrations mal formées des imposteurs, race nombreuse au demeurant à laquelle j’ai depuis longtemps tourné le dos.

Seulement il s’avère que j’ai de plus en plus de mal à me mêler à cette communauté que j’appelle « l’élite en toutes choses matérielles » et ses réseaux m’affligent. Devoir la solliciter pour lui parler de mon petit bout d’être me coûte tellement que mon absence sur la scène se prolonge et durera certainement, qui plus est parce que personne ne m’attend. J’entends parfois des artistes ou d’autres écrivains parler de leur travail. Quel ennui profond ! Tous leurs stratagèmes sont navrants. Il n’y a qu’eux, eux et encore eux. Me faudrait-il devenir un emmerdeur pour réussir. Si, pour être lu, il faut passer par ça, je préfère rester un inconnu à jamais. Après tout quelle différence cela ferait-il ? Aucune ! et cela ne m’empêchera pas d’écrire tant que Dieu me le permettra. Et puis je vois bien alentour à quel point certains se débattent et se salissent sous les lustres de l’ambition pour briller. Au moins, en restant en retrait, ne partageant qu’avec un petit nombre, je me sens en sécurité. Mon travail, voire mon œuvre, qu’on appelle ce produit de ma conscience comme on veut, peut ainsi mûrir sereinement. Nulle échéance ne me guette, j’ai le temps. Le temps. Et ce temps est le mien avant tout.

« OR LA LOI » est de cette trempe.

Je t’envoie mes vœux les plus chaleureux.

Michel

5 janvier 2010

§§§

Salut C,

Vu un très joli minois
J’ai cru que c’était toi
Mais peut-être est-ce toi, photographiée avec talent
Car tu es très jolie

Bon…
La der au téléphone c’était particulier
Du temps pour te répondre
Tu ne sais pas tout, évidemment, mais j’aime bien une partie de ton analyse
Une partie seulement

Tu as vu ? « Hors la loi » est à la mode
Mais mon « OR LA LOI » c’est autre chose
C’est d’la balle, comme on dit
Mais c’est surtout de la poésie
« Du Godard moderne » m’a-t-on dit
Parce que je l’ai écrit en pensant image
C’est surtout du Rob’ Milaire
Un autre ego, bien sûr

Bref, OR LA LOI sortira un jour
Tu peux passer à côté, le héros est anonyme
Comme tous les justiciers

Bises

Michel

1° octobre 2010

§§§