CONFESSIONS d’un ANIMAL HUMAIN

Un récit palestinien par Alia KASSAB

Bande de Gaza le 21 avril 2024

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C’est dur pour un être humain d’être considéré comme un animal. Je ne voudrais pas paraître sarcastique, mais c’est ainsi que nous, le peuple de Gaza, sommes traités.

Voyez, les militants pour les droits des animaux font l’impossible pour préserver les tortues de la pollution, et ceux qui militent pour les droits de l’Homme travaillent tout autant pour lutter contre les injustices. Alors, je vous le demande, à quelle catégorie les Gazaouites appartiennent-ils ?

Le 7 octobre 2023, au commencement de la guerre, j’étais prête au sacrifice de ma vie pour la Palestine. Je pensais que si je succombais dans l’effondrement de ma maison, je serais élue au rang de martyre et que mes péchés me seraient pardonnés.

Je croyais au Salut quand mes pensées étaient des plus suicidaires. Plus j’essayais de trouver des ressources au fond de moi, plus je désirais en finir avec la vie.

Pour m’en sortir, j’avais essayé différents traitements. Que ce soit par les médicaments, ou bien même par la psychothérapie, les résultats furent médiocres. Aujourd’hui, je crois que pour survivre nous devons en inscrire la volonté en notre for intérieur.

Cependant, tout changea radicalement lorsque le 7 décembre le Dr Refaat Alareer fut assassiné par Israël. Le Dr Refaat Alareer était mon professeur préféré. Il était pour moi un modèle et je l’aimais comme un père. Comment, de ce jour, pouvais-je ensuite trahir ses derniers mots : « Tu dois vivre ! ».

Je voulais mourir, les derniers mots du Dr Refaat ALAREER m’ont sauvée

Refaat a chassé les monstres enfouis dans mon cerveau, il a réussi à empoisonner la langue de serpent qui voulait ma mort.

Pendant la guerre, j’avais décrit ma détresse dans un tweet. Je désirais savoir si les mots avaient encore un sens. J’avais le sentiment d’être désarmée, sans voix.

Refaat m’a répondu. En le lisant, sa parole, ses mots s’enracinaient dans mon cœur.

Il m’a écrit ceci : « Alia, je vais t’envoyer les coordonnées de journalistes que je connais, comme ça tu pourras écrire sur la Palestine. Je te joins un dossier qui te donnera toutes les informations nécessaires. »

Parce qu’il savait que mon écriture était plus adaptée au récit qu’au journalisme, il souhaitait que je croie à nouveau au pouvoir de ma voix.

Je lui ai répondu que je ferai de mon mieux, malheureusement je n’ai pas eu le temps de lui faire lire l’article que j’étais en train d’écrire, car il fut tué juste après.

À vrai dire, je n’ai pas vraiment été surprise par son décès. Nous savions tous qu’il allait nous quitter un jour, aussi étions-nous conscients qu’Israël allait tôt ou tard nous dérober notre trésor. Mais à l’annonce de sa mort, j’ai hurlé comme un animal, comme une bête humaine.

Dès lors, je me suis engagée à écrire sur la Palestine parce que je lui en avais fait la promesse. L’encre tremblante sous mes doigts, dans ma solitude, comme cet animal humain qui vit désormais en moi, j’ai quand même écrit tout en sachant qu’il ne me lirait plus jamais.

Je suis tellement désolée que Gaza soit aujourd’hui une ville fantôme. Jamais il n’aurait voulu assister à ça. Il est souvent dit que la mort délivre de la souffrance, alors pourquoi cet homme, cet animal si humain me manque-t-il cruellement ?

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Dr Refaat Alareer

Je vous vois là où vous n’êtes plus

Je vous vois à travers les décombres

Et je me demande quels tourments vous avez dû souffrir lors de votre dernier souffle.

Je revois encore votre image dans la couleur noisette des yeux de mon père, et je me souviens de ce jour où vous vous êtes rencontrés et que vous lui avez dit en plaisantant que j’étais une étudiante turbulente.

Je regarde mes frères et sœurs et je pense à vous.

Vous aimiez tant les enfants.

Vous en aviez vous-même six.

À travers les méandres de mon esprit, je ne cesse de me rappeler toutes les histoires que vous nous racontiez à leur sujet.

Vous étiez si fier d’Amal, de Linah, d’Omar,

De tous vos enfants.

Serez-vous aussi fier de moi, Dr Alareer ?

Je vous vois dans chacune des rides des femmes les plus âgées que je croise,

Nos grands-mères.

Je sais que vous aimiez le pouvoir oral de ces conteuses nées.

Vous adoriez la jeunesse,

Vous aimiez les fraises, les pizzas,

Vous étiez passionné par les mots,

Mais par-dessus tout, vous aimiez la Palestine.

Où êtes-vous maintenant ?

Vous entendrons-nous de nouveau ?

Albert Camus a écrit : “Ce qu’on appelle raison de vivre est en même temps une excellente raison de mourir.”

Et maintenant que vous n’êtes plus parmi nous, votre silence grandit en même temps qu’une douleur m’envahit.

Mais grâce à tout ceci, j’ai enfin appris que le seul traitement pour ma dépression est la manière dont je réagirai à votre absence.

Chaque jour, votre enseignement élève mes résolutions dans mon cœur. Non, vous n’êtes pas mort, Refaat, et vous continuerez de vivre en chacune de mes actions.

Je persiste et signe, l’animal humain restera en vie et toi, tu seras immortel.

                               Alia KASSAB

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Liens :

Alia Kassab sur Mondoweiss « Du sang naissent les roses » article en anglais

Sur ce site : Réflexions sur la guerre

Site de référence : We Are Not Numbers

Confessions of a human animal est réinterprété de l’anglais en langue française par Michel Pommier, écrivain, en soutien et par solidarité envers les auteur.es palestinien.nes dans la tourmente.

Propos : https://michelpommier.com/nous-sommes-innombrables/

Dessin : « Special Palestinians » par Amal Al Nakhala – (amlnakhala sur Insta)

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