Sur « Les ÉCLAIREUR.ES »

Oui, un projet littéraire, parce qu’aujourd’hui beaucoup de choses fonctionnent sur le mode du projet.  La recherche d’un boulot, l’écriture d’un scénario, un futur événement, une entreprise en gestation, une architecture d’avenir, j’en passe, tout est possible et vaguement probable, à tel point que les bureaux d’innovation sont remplis de projets inaccomplis.

Les écrivains ne s’en font même plus, ils envoient des « projets littéraires » aux éditeurs, en attendant que ceux-ci leur donnent un blanc-seing et l’à-valoir qui l’accompagne.

Alors, appelons ça comme ça, un projet littéraire…

J’aime bien quand le titre détermine le récit. Un mot me parvient, il roule dans ma tête pendant des semaines, des années parfois, il accroche tout sur son passage et finit par devenir une sorte de boule si compacte qu’elle ne demande qu’à exploser. Je ne sais plus, mais ça fait un bail que ce titre m’a sauté à la figure et s’est enraciné dans ma conscience. Il fallait bien un jour que je le sublime et en exploite le sens.

J’avais déjà tourné autour de cette manière d’aborder un roman, comme par exemple en utilisant des bribes d’ouvrages inachevés qui traînaient dans mes tiroirs. Là, c’est différent, j’ai commencé une approche par touches successives, presque sans but, abstraitement, et je progresse à l’aveuglette. Je peux ainsi développer des personnages, petit à petit, interroger leurs capacités, magnifier des liens entre eux et tenter de comprendre leurs conditions d’existence. S’il faut un contexte, je l’imagine réaliste dans une temporalité que je pressens peu éloignée de nous.

Le thème, s’il en est un, me parait hybride. Tous les genres peuvent s’inviter à la narration, comme je l’avais fait dans ÉLÉPHANTS. Dans ce dernier roman, la rencontre entre les caractères est rythmée de manière aléatoire puisqu’ils n’ont pas été conçus ensemble mais séparément. Ainsi, ils se répondent selon des contextes narratifs différents. Dans Les ÉCLAIREUR.ES, le processus est pour l’heure indéfini. Je n’ai qu’une très vague idée de ce que j’écris et, à vrai dire, c’est une méthode qui me convient très bien. Je ne suis pas un planificateur de romans, tout est à l’inspiration.

Vous m’avez compris, ce n’est donc pas un projet mais une réalité en cours, ou une promesse, si vous voulez.

Voici le début en quelques lignes encore modifiables. Si un autre commencement remplace plus tard celui-ci, ce n’est pas important. La curiosité favorise les changements, et ceux-ci nous permettent d’avancer.

Ensuite, chacun se fait sa propre idée du progrès.

Nous nous reverrons bientôt.

Bien à vous.

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Les ÉCLAIREUR.ES

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C’est à cet instant précis que c’est arrivé.

Ils se sont immobilisés sans en avoir pleinement conscience. Pour vous donner une image, disons que c’est un peu comme dans ces films d’anticipation, ou de magie, quand les personnages sont au ralenti alors qu’autour d’eux l’environnement accélère, ou l’inverse, sauf qu’une autre dimension appuierait la scène. La dimension du « comprendre ». À moins de bons comédiens, peu de cinéastes sauraient traduire cet « hors limite » où les cerveaux de ces personnages se sont éveillés en même temps.

Le corps n’est rien.

Ils restaient en cet endroit du globe sans y être.

L’événement s’est produit et ils se sont séparés avant même d’avoir pu se parler. Ils se sont reconnus sans se voir. Un moment s’est cristallisé sur leur existence et une photo mentale a été prise. On les voit apparaître de dos ou de trois-quarts. Cette image imparfaite continue de circuler comme une onde sur la mer. C’est ainsi que le mythe est né.

Des années s’écouleront, juste assez pour que chacun ait oublié ce phénomène mais pas assez pour qu’une évocation de ce bref éclair de leur vie ne les laissent à jamais indifférents.

Le destin va de nouveau les réunir. Cette fois-ci, ils comprendront pourquoi ils ont changé et la raison de leur première rencontre.

Photographies : Yann LAYMA

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