Poème et fusil à la Parole errante

Jeudi 15 février 2024 – 19 h

Café-Librairie Michèle FIRK

Rue Debergue – Montreuil

LA PAROLE ERRANTE

Ce jeudi soir 15 février 2024, direction Montreuil-La-Parole-Errante où je vous propose d’assister à une discussion autour du thème LITTERATURE AUJOURD’HUI : POEME ET FUSIL ?

En avance juste ce qu’il faut, j’ai le temps de passer au Café-Librairie Michèle FIRK (cinéaste reporter militante anticolonialiste) qui est l’organisateur de cette soirée. En termes de littérature révolutionnaire, engagée, militante, aux risques pris par tous les auteur.es et collectifs représentés, il y a du sang, des cris, des larmes, mais aussi de belles victoires à lire et à espérer, comme dans toute expression humaine. Question forme, c’est un univers de livres mais on y trouve également un éventail d’affiches, de fanzines, de tracts et de ce type de littérature rapide et souvent efficace et condensée ; une littérature qui n’a pas froid aux yeux et pas beaucoup de temps à perdre en digressions. Le style est important. C’est donc du sérieux et c’est pour ça que nous sommes là, pour baigner dans une parole écrite et orale  qui a quelque chose à dire. Suivez le lien, ce sera plus parlant qu’une longue description balzacienne.

A 19 h et des brouettes, j’entre dans la salle de la Parole errante. Pour info, le collectif la PAROLE ERRANTE DEMAIN, constitué d’usagers, au masculin comme au féminin évidemment, continue de faire vivre ce lieu en accueillant une multiplicité d’expériences « respirables » qui ne trouvent pas leur place dans le monde de l’économie, même « sociale et solidaire ». Apparemment le propriétaire foncier, soit le Conseil départemental de Seine-St-Denis (Union de la gauche et des écologistes), cherche à reprendre « la main » sur cette salle (Tract « Brique par Brique » du collectif datant du 24/11/2023). On sait que les institutions territoriales tentent d’expulser toutes les initiatives qu’elles ne contrôlent pas. Le but de la Parole errante demain est, je cite : « Construire un lieu fait pour et avec les usager·es et non pas un espace de prestation socio-culturelle avec ses “publics cibles” ». Expérience à l’appui, ça me parle évidemment. La culture est une cause qui doit défendre tous les bariolages possibles, et non pas ceux d’une poignée d’élus, ou de fonctionnaires.

Salle de la Parole errante – Montreuil

La salle est immense. Pas facile à éclairer et à chauffer de telles dimensions. Une épaisse fumée nous accueille. Une troupe de théâtre en répétition essaye ses fumigènes. On attend avant de rentrer. La librairie a installé des livres sur des tréteaux. J’en choisis quelques-uns dans les ténèbres et dans l‘espoir d’une dédicace. C’est toujours sympa les dédicaces, ça différencie le livre de sa production industrielle. On me fait savoir que les photos ne sont pas les bienvenues, à moins de demander à chaque auteur·e. D’accord, pas de photos, je me demande pourquoi, mais bon, je range l’appareil après une simple capture du lieu pour l’ambiance.

J’acquiers « La littérature embarquée » de Justine HUPPE, chez Amsterdam, dont à l’heure où j’écris ceci j’ai déjà réalisé un commentaire ; Celui de Mačko DRAGAN : « Abrégé de littérature-Molotov », chez Terre de feu, que je viens de finir, un sacré pavé pour un abrégé ; « Tomates de Nathalie QUINTANE », chez P.O.L, vu que j’ai déjà lu « Contre la littérature politique », paru à la Fabrique et dans lequel Nathalie n’intervient pas seule. Quant à « Littérature et politique » de Joseph ANDRAS, absent ce soir, et Kaoutar HARCHI, aux éditions Divergences, je l’ai également commenté, suivez le lien.

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Après TROIS HEURES de discussions rondement menées, assis avec un bloc sur les genoux, l’exercice de restitution va être plus ou moins fidèle. J’ai pris des mots à la volée et je vais tâcher de faire des phrases en respectant le propos et la pensée des intervenant·es.

En introduction, les organisateurs n’ont pas manqué de souligner que le thème réunissant la littérature et la politique est actuellement très présent dans l’actualité littéraire. Au-delà d’une mode, il est aussi question d’une littérature qui doit rendre des comptes à l’économie, laquelle ne s’entend pas toujours avec une littérature camarade. Et pour commencer, la littérature politique est interrogée en cela qu’elle peut être réfutable et donc doit donner des preuves de sa légitimité.

Pour faire simple, vous comprendrez les initiales.

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C’est Kaoutar Harchi qui la première répond à l’invitation. Fidèle à sa problématique sociologique, rappelant ses origines comme un leitmotiv, elle attaque en faisant primer l’intention dans ce qu’elle appelle un espace minoritaire à l’intérieur d’un autre espace minoritaire. Soit l’écriture d’intention dans un espace littéraire pris dans ses réseaux codés. La localisation dans laquelle intervient la parole de l’écrivain·e, les tribunes orales, l’espace public, tout ceci conduit à une posture, laquelle doit appuyer la position littéraire. Kaoutar reviendra plusieurs fois au cours de l’entretien sur cette notion de position en la confrontant avec son expérience personnelle d’auteure « racisée », un terme qu’elle définit plus longuement dans son livre.

Nathalie Quintane reviendra sur un des propos de Contre la littérature politique, où il est question de l’expression d’un graphe sur un mur et tout ce qu’il peut générer comme malaise ou interrogations.

Justine Huppe envoie le bois avec une critique directe sur le rôle de la littérature camarade, qu’elle juge désespérante. En d’autres termes, il court une nette hypocrisie dans la société littéraire dès lors qu’on évoque les militances. Walter Benjamin est évoqué en tant que défenseur d’une action littéraire. Un écrivain doit être capable d’écrire et de publier par tous les moyens possibles et imaginables.

Mačko Dràgàn enchérit sur ce principe anarchique de l’auteur.e dans la lutte dont l’activisme est d’écrire « des trucs ». « L’art ne vaut rien face à la vie », pourvu que l’écriture, en effet, soit efficace et non pas une simple posture d’écrivain.

Le débat est lancé, l’organisateur replace le rapport littérature/réalité dans le contexte politique.

Justine Huppe engage le propos sur la fiction en s’en prenant aux  espaces d’évasion.

Mačko Dràgàn  préfère élargir le pensable. La fiction peut être un instrument insurrectionnel, c’est donc une pratique à ne pas abandonner. On peut cependant se poser la question de ce qu’apporte une littérature de constat dans le champ de la lutte sociale.

Nathalie Quintane évoque Ernst Jünger et son allégorie du Grand Forestier des Falaises de marbre. « Nous sommes déjà dans une époque “purée de pois”», elle dit comme elle écrit.

Kaoutar Harchi souligne que le romanesque échappe à la réalité. En opposant la production d’un ouvrage à sa publication, elle critique la chaîne de l’édition. D’où l’on apprend, à moins de se situer dans le  divertissement, qui en prend pour son grade, que les éditeurs manipulent les auteur·es afin qu’ils édulcorent leurs propos pour des besoins de gestion. Dans ses livres, les personnages de Kaoutar laissent désormais la place aux personnes.

Mačko Dràgàn  prône l’usage du PDF accessible à tous. Quant à l’outil fictionnel, il est facilement utilisable en dehors du monde de l’édition.

À partir de ce moment-là, entre la fiction et la non-fiction, une nette opposition s’installe entre Kaoutar Harchi et Mačko Dràgàn. Je pose mon stylo et j’écoute ce qu’ils ont à dire sur un sujet que je connais bien pour avoir tenté à son endroit de multiples expériences, autant littéraires que plastiques, ces dernières notamment avec des plasticiens.

Au premier blanc, Les organisateurs en profitent pour placer la discussion sur le « Je » en littérature.

Nathalie Quintane paraphrase WITTGENSTEIN : « Je est un mot comme un autre », et se lance dans une opération de nettoyage littéraire : RIMBAUD n’est pas loin.

Mačko Dràgàn  en appelle au « Nous » et au collectif en nous faisant part de son expérience niçoise à la marge, des squats, des emmerdes avec la mairie, de son blog. Il s’agit aussi pour lui de décrire l’intime.

Kaoutar Harchi refuse de s’inscrire dans une logique littéraire bourgeoise, tant pis pour la mythologie de l’ego propre à cette discipline, elle préfère les collectifs aux « insurrections » multiples dans lesquels les « je » et le « nous » sont en tension.

Les organisateurs reprennent la parole et la grande figure de Roberto BOLAÑO apparaît. Evidemment, littérature, politique, fiction et réalité et poésie ne pouvaient que s’inviter à la discussion. Sans oublier de signifier qu’écrire est dangereux.

Mačko Dràgàn , qui a développé l’œuvre et la vie de Bolaño  dans son copieux abrégé, évoque « 2666 » et insiste sur la préservation d’espaces où l’on peut tuer les dictateurs.

Les organisateurs font un parallèle avec La maison des feuilles de Mark Z. DANIELEWSKI.

Nathalie Quintane revient sur la manière de construire des slogans à partir de textes connus, comme « Police partout justice nulle part » découpé chez Victor Hugo. « Emparons-nous des textes, ajoute-t-elle, et attention aux “vous”, “nous”, et “je”  intentionnels de l’expérience, autant qu’à leur prétention dans l’opportunisme relationnel.

Justine Huppe insiste sur la forme du politique dans les mouvements participatifs, notamment artistiques.

Mačko Dràgàn  nous renvoie au fanzinat et à la culture « bip-bip », comme il dit, soit les modes littéraires capables de distordre le réel, tels les cartoons, genre Tex Avery, et donc une culture simplifiée, a-normée et s’employant à divertir tout en disant l’essentiel. Wendy DELORME et George PEREC sont appelé.es à la barre.

Nathalie Quintane appelle Raymond QUENEAU à témoigner à son tour.

Mačko Dràgàn : La littérature populaire réamorce le réel, il dit.

Nathalie Quintane : Sauf qu’il faut faire attention à l’institution et au scolaire.

Les organisateurs : Le salon de la poésie se pare de blanc comme à l’hôpital. Comment dire les choses aujourd’hui, dans une époque très ministère public qui récupère les mots d’auteur·es et les retourne contre les peuples ?

Kaoutar Harchi : Selon Joseph Andras, la littérature doit se séparer de la vocalisation et se déplacer dans la rue. Si le roman a une prétention, l’acte d’écrire peut s’opérer dans la socialisation, sans se soucier de l’enjeu de la publication. En nous ré-individualisant, la question de ce qui nous a précédés remonte et l’écriture redevient un rapport sensible à l’existence.

Nathalie Quintane : Depuis les années 80, la poésie lyrique nous submerge de sa médiocrité dans des évènements aussi insipides que le Printemps des poètes, qui malheureusement pénètrent le champ scolaire. Allons plutôt voir Les éditions Al Dante, POL, ou du côté de chez Sandra LUCBERT.

Les organisateurs : C’est difficile pour les éditeurs de poésie, qui ne se payent pas.

Kaoutar Harchi : l’éditeur est tout sauf un romantique, il se paye sur une économie de la reconnaissance. Ses relations avec les auteur·es sont basées sur un rapport inégalitaire, et donc +/- injuste.

Justine Huppe : Sinon l’artisanat éditorial, ce que j’appelle l’imaginaire du « Do it yourself », est voué à l’inexistence. La diffusion représente un enjeu qu’il faut appréhender.

Mačko Dràgàn  : Moi, je fonctionne avec les minima sociaux ou je bosse comme manutentionnaire dans les jardins dès 7 h du mat’, je reste connecté à la réalité, je “prole”. Les travailleurs de l’écrit devraient avoir les mêmes droits que les intermittents. J’ai fait trois mois d’enquête pour une pige qui n’a absolument pas amorti mon temps passé.

Les organisateurs arrêtent la discussion ici, l’heure a tourné.

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Ça va faire trois heures que nous sommes là, chers lecteurs, chères lectrices, c’est au tour du public de poser des questions.

Un participant lance des chiffres sur les invendus et sur l’édition à faire dresser les cheveux sur la tête. Si j’ai bien entendu, un quart de la production annuelle de livres finit au pilon et 68 % des livres vendus ne dépasseront pas les 10 exemplaires par titre. À vérifier.

Je note une inquiétude évidente sur la manière de faire de la littérature à l’heure où l’institution semble avoir abandonné la lecture. Ainsi les médiathèques remplacent les vraies bibliothèques et deviennent des espaces de jeu.

Il s’agit tout de même pour les auteur·es de se définir des postures littéraires fortes (Nathalie Quintane) ou que l’écriture émerge de la base (Mačko Dràgàn).

À la fin, avec votre permission, j’ai levé la main pour apporter mon soutien à ce type de rencontre/débat, j’allais avoir le micro quand une participante s’est indignée que les femmes n’avaient pas eu la parole. On lui a passé le micro et cette personne s’en est prise aux quatre intervenant·es en critiquant le flou de leur posture.

Le doute exprimé comme une attaque assez personnelle a vivement fait réagir Nathalie Quintane, qui a renvoyé cette personne séance tenante dans les seize mètres en lui demandant si elle avait bien compris ce qui avait été dit dans la soirée.

Le micro à ma portée, il m’a semblé important d’ajouter, puisqu’il en avait été beaucoup question, que chacun abordera l’édition à sa manière. Pour moi, écrivain indépendant et plus près du Do it yourself, l’enjeu de l’écriture s’inscrit dans l’intention, comme cela avait été défendu par Kaoutar Harchi. Pour l’aspect collectif, genre Mauvaise troupe, je crois qu’il existe de fait un collectif virtuel à travers lequel il est possible de ne pas se sentir seul mais se savoir accompagné des esprits de notre époque sur nos luttes communes ou respectives. C’est pour cela que je suis venu vous écouter, parce que je me retrouve en chacun de vous. Merci d’exister et de vous exprimer. Solidairement.

Et merci encore pour vos dédicaces et votre accueil chaleureux durant cette attention où nous avons pu échanger « en vrai ».

Et merci à vous, chères lectrices, chers lecteurs, pour votre temps passé sur ces quelques lignes.

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