16 juin 2023
Lettre ouverte à Jonathan Littell
Depuis ma lecture de votre livre Homs, il m’arrive de rencontrer vos articles ici ou là dans la presse. En parcourant « De l’agression russe » je me permets de vous écrire pour vous faire part de mon sentiment.
Je comprends qu’en chaque période de l’histoire chacun prenne parti pour une cause et défende ses opinions, aussi m’a-t-il paru important de vous communiquer le mien, en l’occurrence très différent du vôtre.
Sans revenir mot à mot sur votre essai, c’est surtout votre défense de l’ordre mondial, sur lequel vous insistez, qui motive de ma part un certain rejet de vos propos.
D’abord, je ne m’accorde pas de la vision strictement offensive de la Russie en Ukraine. Certes, ses troupes se sont mobilisées et ont franchi la frontière à l’est. Mais il m’apparaît plus réaliste d’y voir là une riposte aux prétentions occidentales sur le sol ukrainien, dont des territoires sont déjà dans les mains d’économies loin de satisfaire les idées de partage et d’équité. La dette ukrainienne, qui ne cesse d’augmenter, devrait profiter aussi bien aux entreprises embusquées derrière l’acronyme atlantiste qu’aux dirigeant.es de l’Europe.
Quant au rôle des Etats-Unis, il est à mon sens l’un des principaux vilains de ce mauvais conte. Occupé à son habitude à déstabiliser les régimes de la planète qui gênent sa volonté hégémonique, à l’aide de quelques oxymores démocratiques et de la perversité nécessaire, ce grand méchant loup sauveur du monde souffle sur toutes les constructions qui l’entourent. Son obsession, détruire les infrastructures de ses petits camarades pour mieux les reconstruire en les faisant payer au prix fort ; piller les sols et les ressources ; financer des révolutions corrompues, j’en passe et des plus sordides, telle la misère intellectuelle autour du génocide civil opéré actuellement en Ukraine et dont vous omettez volontairement de dire le moindre mot.
C’est votre droit de propager la bonne parole apocalyptique, c’est le mien de dire aux agresseurs comme aux agressés que seule la diplomatie vaincra.
Mais vous ne m’écouterez pas puisque vous travaillez pour un monstre manipulateur et sûrement très gratifiant qui vous laisse à loisir promouvoir sa ligne de conduite et sa vision mondialiste. En incitant vos lecteurs à se mobiliser pour la bête, vous ne faites guère mieux que votre accusé.
Mais les cow-boys croient encore que la guerre c’est déjeuner sous une toile de tente avec une bande de copains à l’abri du soleil en écoutant de la pop.
Mais vous n’êtes pas seul à estimer que nos belles campagnes peuvent toujours accueillir des corps et des cérémonies. Vous voulez faire l’infirmier, alors vous militez pour l’envoi de troupe sur tous les fronts. Vos soins et vos bandages pourront vous déculpabiliser.
Certainement, des dirigeants américains ou européens, chaperonnés par des lobbys pour lesquels la liberté et la démocratie, encore une fois, sont le moindre de leur souci du moment que les circonstances leur permettent de générer du cash, enverront à nouveau de jeunes innocents et ô combien naïfs se battre et mourir pour des intérêts qu’ils ne toucheront jamais, mais qui ne seront pas perdus pour tout le monde.
Je lis vos messages colériques qui prient pour l’envoi massif d’armes aux Ukrainiens. Mais vous omettez de clarifier à quelle Ukraine ces armes doivent être envoyées. A cette Ukraine qui depuis 2014 reçoit déjà du haut du ciel les cadeaux métalliques de l’Oncle Sam, ou à celle qui agite des proclamations dignes du Troisième Reich ?
Il est un fait notoire qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, des figures majeures, militaires ou hauts-fonctionnaires du régime vaincu par les alliés ont su profiter de l’après Nuremberg pour reprendre pied au sein de cet ordre mondial que vous semblez appeler de tous vos vœux et qui se caractérise déjà en Occident par une Europe sous domination atlantiste et à l’Orient pour un sionisme sans vergogne.
Beaucoup de choses pourront être dite sur l’impérialisme russe et ses méthodes à travers les siècles (ce n’est pas à un Français de faire la leçon après l’épopée sanglante de Napoléon, mais je me contrefiche des nationalismes). Si les tsars ont vécu, la doctrine de la Russie, que je sache, reste cependant écartée des fondamentaux du nazisme.
C’est uniquement sur ce point que je me permets de vous entretenir. En effet, je pense que vos propos entretiennent de manière implicite une certaine idée de l’action anti-démocratique mise en place par ceux que vous appelez « nos dirigeants », et que pour ma part je ne peux reconnaitre qu’à cause de leur usage de la force légale alors que leur légitimité sera toujours discutable. Aussi je ne comprends pas, selon votre parcours, votre motivation à promouvoir un projet dans lequel les peuples seraient les sujets d’un totalitarisme à grande échelle.
Mais comme je ne vous ai jamais vu sur nos barricades populaires, j’ignore ce que vous en pensez, bien que vos propos, tenant absolument et à la lettre le discours normé de la majorité, est éclairant.
Bien évidemment, c’est votre droit le plus strict de militer pour un « nous » consensuel dans lequel seraient prises à parti toutes les forces vives mobilisables pour prendre les armes contre celui que vous ne cessez « d’humilier » dans votre tract.
Rassurez-vous, loin de moi l’idée de défendre votre ennemi, mais il n’est pas le mien. Pourquoi le serait-il ? Sauf à devenir, comme vous, un acteur de la guerre.
Rien à faire, je ne répondrai pas à votre discours va-t’en-guerre. Cet ordre mondial, aujourd’hui brandi par Biden, me paraît des plus douteux. Mais, encore une fois, nul ne peut vous en vouloir de votre prosélytisme, il en est de votre liberté de conscience et d’expression, sauf que ce consensus médiatique, inventé de toutes pièces, dès lors qu’il s’empare des sphères culturelles, politiques et financières dénie tout autre possibilité d’opinion. Et la censure, qui sait revêtir les masques les plus pervers, devient monnaie courante.
Malheureusement, derrière cette nouvelle face d’une société du spectacle assise devant l’écran propagandiste de la guerre, un vaste pan sociétal se conditionne, s’aliénant de lui-même à ses tortionnaires de l’éducation et de la pensée. Vous en êtes l’un des fleurons — j’ai failli écrire « faucons » — les plus actifs. Les grands capitaux de l’armement vous tendent la main et vous achètent ; l’Europe est à vos pieds ; les éditeurs normés vous suivent, autant de bienveillance à votre égard doit vous faire penser honorablement à la justesse de votre message, et à votre mérite. Vous pouvez être fier, comme on dit.
Mais pendant que le nouvel ordre mondial caresse l’échine du premier de la classe, les peuples ne sont plus dans l’ignorance. Derrière toute cette propagande criminelle, un jour, espérons-le, les exterminateurs seront jugés pour leurs méfaits. Et ce jour ne s’occupera ni des frontières ni des points cardinaux, ni des médaillés bien-pensants.
Vous ferez comme bon ou mal vous semblera, cher Monsieur Littell, vendez des armes, brandissez le fanion de la coloniale, laissez mourir d’autres journalistes, assistez à l’assassinat de population, courez ensuite les sauver, bâtissez-leur des hôpitaux, prenez position pour les artistes engagés et faites-vous photographier en train de leur écrire, vivez l’hypocrisie en temps réel, faites-vous décorer par-dessous le marché, creusez des fosses communes, faites le signe de croix ou allumez des candélabres sur le sacrifice juif et celui de la jeunesse, anticipez votre déculpabilisation, et pendant qu’un drame humain se déroule sous vos yeux, que les marchands engrangent déjà des bénéfices réalisés sur la souffrance des familles, confortez votre page wikipédia pour la postérité si ça vous chante.
C’est votre droit le plus strict, comment ne pas le respecter sous nos démocraties.
§ § §
Pour être tout à fait honnête, ma première lettre était d’un autre style, je la propose néanmoins ci-dessous.
Lettre ouverte à Jonathan Littell – Première version
À Jonathan,
Sur « De l’agression russe ».
J’vais pas t’la faire intello, Johnny, mais en deux mots j’suis pas d’accord avec toi et j’aime pas ton point de vue. Ecoute-moi deux minutes, je t’ai lu, à ton tour, ça vaut bien ça.
Primo, personne n’enverra ses enfants se faire bousiller la tronche pour faire plaisir à ta guéguerre perso avec le président russe ni n’aura envie de le faire pour que quelques occidentaux fortunés et bien planqués envoient les leurs dans des écoles suisses.
L’agresseur que tu charries est tout autant un agressé, donc un ripostant, en quelque sorte, tu ne peux voiler cette facette de la réalité. La terre, le blé, le foncier, les mines, le nucléaire, c’est ça la mise sur la table, tu crois quoi, toi, que ça intéresse pas les occidentaux, un tel gâteau sous leurs yeux chaque jour que Dieu fait ?
Par ailleurs, les néo-nazis financés par l’occident, par nos impôts, coco, ils existent, tu le sais. Pourquoi t’en dis queue d’chique dans tes feuillets engagés ?
Après, le génocide civil fait partie de la guerre, inexcusable évidemment. Les milices paramilitaires ukrainiennes pro-occidentales se sont conduites comme de grosses ordures après Maidan. Dis-moi que tu l’sais pas. C’est une guerre raciste, camarade écrivain, une putain de guerre nationaliste où la langue devient faciès.
C’est aussi une guerre colonialiste. Les US ont besoin d’argent parce qu’ils aiment tellement ça qu’ils ne pensent qu’à ça et ils vont le forer partout où leur nez de fouine leur dit d’aller creuser. Déstabiliser notre équilibre européen est le cadet de leur souci. Ils font quoi chez eux de la grande misère qui dégueule sur leurs trottoirs ? Rien ! Ils préfèrent aller foutre le boxon chez les autres. Tu as vu la vidéo sur la misère à Los Angeles ? Regarde, tu verras, y’a pas d’effets spéciaux.
La liberté, la démocratie, qu’est-ce que l’administration ricaine en a à foutre ? Des mots. On dit aussi « propagande », un peu comme tes clichés dans ton texte. Eh, Jonathan, tu nous prends tous pour des lapins de deux semaines, ou quoi ?
L’Europe ? La belle est corrompue, ça aussi tu le sais. Pourquoi tu fermes ton clapet là-dessus ?
Les médias ? Le monde de l’édition ? Sans faire une généralité mais presque, là encore tu le sais mieux que personne, inutile de lancer le débat sur leur allégeance au pognon. Le truc c’est soit tu écris dans le sens du chef, du patron ou de l’extrême-extrême droitisation (camouflée) de l’espace Schengen, soit tu dégages. Mais toi, t’as quand même eu les palmes de l’accalmie avec ton torchon nazilllard. L’éditeur a dû bien s’en mettre plein les poches, les imprimeurs, les diffuseurs, les libraires, les 2S ça fait bander le commerce, ça fait triquer.
Le sens ? Quel sens dans un appel à peine déguisé au meurtre ?
La philosophie ? Oubliée, comme Dieu. Rideau !
Le théâtre ? Lis mes pièces si tu les trouves.
La poésie ? Une fleur des champs qui joue au roseau dans la tempête. Je t’en enverrai peut-être une si tu me réponds, on verra, mais tu n’aimeras pas.
L’enfance ? Voir plus haut, camarade.
L’ordre mondial ? Une idéologie totalitaire et criminelle sous les oripeaux de la liberté.
Alors qu’est-ce que tu fous, bordel ? Enfin, Jonathan… T’es quand même pas si con, qu’est-ce qui te prend de vouloir armer des hommes contre des hommes, des familles contre d’autres familles ?
Et me fais pas le coup de l’infirmier, par pitié. En lisant ta philippique je n’y crois pas une seconde. Des infirmiers y en a des deux côtés, ils sont pas tous là en train de se faire mousser sur leur page wiki pour trois bandages et une piquouze dans l’derch. Ils ont autre chose à faire.
Ca m’énerves que tu bosses pas pour la réunification des peuples, mais pour qu’on leur balance des pétards sur la gueule.
Et t’es gentil, tu cites pas Mandela, t’es pas à la hauteur, tu respectes, tu t’inclines et « Ya basta ! », comme dirait le Sous-Commandant Marcos, un mec que tu dois pas connaître vu que tu défends la coupe en règle du monde.
Ecoute ce que t’as dit ton éditeur moscovite avant de dire des conneries et gamberge cinq minutes au lieu de tartiner des pages et des pages de menaces nucléaires, ou notre boulot d’émancipateurs ne servira plus à rien, sinon à éteindre la lumière.
Bosse pour la paix ! Va voir ton ennemi, va au Kremlin, va à la Maison Blanche, et montre tes grandes gestes humanitaires à l’ONU. Y’a assez de merde dans la nature, y’en a plein nos histoires de famille pendant la 2° GM, y’en a à toutes les pages de nos livres d’écoliers jusque dans tes foutues bienveillantes, c’est pas la peine d’en rajouter, Jonathan. Et va voir ton psy, aussi, tant que tu y es.
Je m’arrête là, j’te charrie, camarade, mais c’est ton message, si tu veux… Y’a des responsabilités quand on est auteur, où alors on est payé off-shore.
À ciao. J’te souhaiterai bonne année peut-être un jour, pour l’heure t’es pas assez sympathique pour ça.
Dommage, Homs j’avais bien aimé, dur mais solide.
Si tu passes par où je crèche, file-moi un coup de bigo, on discutera de tout ça en s’foutant sur la gueule ou on s’torchera à la vodka.
m i c h e l
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