JOSEPH ANDRAS NÛDEM DURAK

Après avoir lu Littérature et Révolution, co-écrit par Joseph ANDRAS et Kaoutar HARCHI, l’exercice de la critique, ou plus exactement du commentaire littéraire, m’est apparu important. De livre en auteur, j’en suis venu à lire cet ouvrage, en espérant qu’il vous donne envie de le parcourir. 

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NÛDEM DURAK de Joseph ANDRAS

Dans NÛDEM DURAK, un ouvrage consacré à une jeune femme kurde emprisonnée pour avoir chanté dans sa langue, la narration s’avère assez proche du carnet de voyage. Il y a cependant une investigation des plus sensibles où Joseph ANDRAS est en quête de la vie de la chanteuse. À cela, un troisième personnage, le style, s’invite dans cet espace littéraire en liant l’écrivain et la chanteuse alors que l’éloignement les sépare. Et dans ce vide impénétrable, la prisonnière emmurée parvient à s’exprimer quand l’écrivain la rappelle sans cesse à sa vie d’avant, à son présent en détention, et bien sûr à la lutte.

Dans ce livre aux risques nombreux pour les deux protagonistes de cet échange épistolaire, la forme est si bien travaillée que le propos politique, bien qu’il soit omniprésent, est lissé et, je dirais, digeste sauf à en parcourir les lignes dures qui jalonnent le récit d’Andras, et surtout décrivent la vie de Nûdem Durak.  Mais prenons aussi du temps dans la famille de la chanteuse kurde, oublions parfois le contexte politique et carcéral puisqu’en tant que simples lecteur.es nous y sommes invité.es.

Partageons des moments intimes et des conversations, des repas. Ici, des paysages élèvent nos yeux jusqu’aux montagnes lointaines, ou suivent l’eau de pluie qui glisse sous nos pieds dans les méandres d’un village. Nous sommes à Paris au téléphone ou traversons des check-points inquiétants. Parfois, la recherche littéraire nous surprend. Il m’est arrivé de revenir une fois ou deux sur la phrase ou le bout de phrase — le texte étant surtout composé de phrases courtes — pour saisir ce qu’ils voulaient dire. Mais on s’y fait, c’est une tentative assez heureuse d’introduire dans la narration des éléments syntaxiques nouveaux et purement poétiques. Vous êtes prévenu.es.

Les passages où s’exprime Nûdem Durak, traduite par des proches, sont un pur chef d’œuvre de douceur littéraire. Cette jeune femme, emprisonnée pour sa langue, sa naissance, son territoire et son peuple, est d’un courage hors du commun, ainsi que ses illustres prédécesseur.es qui au plus profond de leur geôle ont réussi à tenir bon et sortir victorieux et libres après avoir traversé l’insoupçonnable. Serait-ce résister qui la rend si tendre avec ses ami.es et son peuple, alors qu’elle est si dure avec l’Histoire de son pays et de ses bourreaux ? Y a-t-il un autre mot pour qualifier la chaîne humaine qui incarne la gouvernance turque d’aujourd’hui ?

Alors que nous sommes captivés par la qualité de l’écriture de Joseph Andras, la prose de Nûdem Durak sera plus attachante, plus douce dans la douleur et l’épreuve. Le livre reste d’une lecture éprouvante, vous êtes prévenu.es.

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