13 octobre 2023
Terre promise 7 octobre 2023
Luc LEJOUR : Michel, pourquoi une revue de presse dans la rue ?
Michel POMMIER : C’était une impulsion, on va dire. Une réaction entre chaud et froid, l’incapacité de prononcer le moindre mot sur les évènements qui viennent tout juste de se produire en Palestine, dont Israël et la bande de Gaza font partie, et l’obligation, si tu veux, de manifester mon indignation et mon désarroi au milieu de tant d’autres.
2L : C’est curieux que tu aies profité de l’ouverture de la saison culturelle 2023/2024 de la Ville de Tours pour un tel manifeste.
MP : Mon intervention n’était pas préméditée mais oui j’ai agi de manière opportuniste. Sur l’évènement de la Ville j’avais toutes les chances d’être reconnu et qu’on me laisse tranquille. Il faut provoquer des espaces permissifs, comme furent les Chantiers de la Création en haut de la Tranchée de mai à juillet 2020. La prise de parole, l’occupation de l’espace publique, écrire sur la chaussée, tout ceci participe de la liberté d’expression, nous n’avons pas tous l’appui des médias aussi il faut se servir quand l’occasion se présente de rencontrer le public.
2L : Je suppose que tu as mesuré les risques d’intervenir sur la voie publique sans y être invité.
MP : Disons qu’il faut toujours se méfier un minimum. Il existe une telle censure d’État que la liberté d’expression est gravement menacée. Les manifestations solidaires envers la population gazaouïte sont d’ores et déjà réprimées à Paris, et les manifestants sanctionnés. L’allocution du président Macron tout à l’heure, ainsi que les déclarations de divers députés et sénateurs ces derniers jours, sont des plus inquiétantes. Une performance « OFF », en notre état d’urgence intellectuel peut paraître subversive et dégénérer, on ne sait jamais.
2L : Dans l’alternative où des auteurs s’emparent du sujet en soutenant la création d’un état palestinien, il y a toujours ce risque d’être accusé de faire l’apologie du terrorisme. J’ai entendu une personne pendant ta revue de presse dire que cette action n’avait rien d’agressive, et un jeune Arabe est venu te féliciter pour ton intervention.
MP : Pour l’instant, j’ignore tout de la position des autres auteurs, ni de celle des artistes en général. Beaucoup, depuis le confinement et la vaccination forcée m’ont d’ailleurs pas mal écœuré, et même depuis le conflit ukrainien, donc je ne me fais pas trop d’illusion, et je sais que beaucoup ont appelé à voter Macron. Mais comme nous sommes tous pris dans un chronomètre, je n’ai encore guère eu le temps de suivre les autres réactions. Et puis, tu l’as entendu de la bouche du président, la France doit s’unir face au terrorisme et soutenir Israël. S’il accuse ouvertement les milices paramilitaires qui ont franchi le mur séparant Gaza d’Israël à l’aube du 7 octobre, nous ne pouvons qu’être horrifiés des atrocités commises ce matin-là sur le territoire d’Israël. Comment ne le serait-on pas ? Mais nous devons aussitôt nous attaquer à la cause réelle de ces dérapages incontrôlés, c’est-à-dire le sionisme, dont les conséquences produisent un mal qui n’est pas très éloigné du nazisme, si on y regarde de près. Ce n’est pas évident de s’exprimer sur ce problème désormais récurrent depuis la colonisation de la Palestine par Israël.
LL : C’est sûr que le ghetto palestinien de la bande de Gaza est d’une triste réalité. Nous voici revenu aux temps des pogromes. Le premier ministre israélien n’a même plus besoin de faire dans la bagatelle pour massacrer des civils en masse, vu le soutien des gouvernements occidentaux, et celui des USA en première ligne qui, à leur déplorable habitude, jettent de l’huile sur le feu.
MP : L’attitude criminelle de nos dirigeants, loin d’être inconsciente, est parfaitement calculée. Lundi matin, les actions européennes de l’armement, dont les valeurs françaises, étaient en hausse de plus de 4%. Les affaires sont les affaires, et la guerre une matière économique.
2L : Moi, ce que je redoute, c’est une nouvelle agitation antisémite possible, une erreur de l’humanité qui d’ailleurs n’a jamais vraiment abandonné la partie, quel que soit la réaction douteuse du Rassemblement National et celle très équivoque de la France insoumise. Quant au PS et consorts socialistes, leur collaboration active au libéralisme entérine la trahison. Aujourd’hui, j’ai la nette l’impression que tous les partis disent l’exact contraire de ce qu’ils pensent réellement. Nous sommes loin des propos tranchés de la fin du XVIII° siècle, et c’est heureux, mais le diable avance désormais masqué.
MP : En tous les cas, des personnes avec qui j’ai discuté rue de Châteauneuf mercredi sur les évènements, par anticipation aucune n’était d’accord avec le contenu de l’allocution du mal élu de l’Elysée. Quoiqu’il en soit, je ne pourrais jamais être solidaire d’une politique qui arme des mouvements clairement identifiés néo-nazis en Ukraine, ou très nettement exterminateurs, pour des motifs religieux et racistes, de populations civiles en Palestine. Je refuse de devenir un assassin par procuration.
2L : Abstraction faite de ces instants tragiques, que retiendras-tu de cette revue de presse de trottoir ?
MP : C’est à refaire, je pense. Encore une fois, j’ai eu l’espace d’un instant une sorte d’apnée littéraire qui m’a fait bondir et les gens m’ont ranimé. Une jeune femme a pris une craie et a écrit « COMPASSION » et une petite antillaise m’a demandé d’écrire « AMI ». Pour moi, ça n’est pas anodin par les temps qui courent. Le fléau n’a pas encore gagné.
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