26 août 2015
Nous sommes tous des théologiens
Pas un livre qui ne soit une rencontre, qui plus est pour ceux qui traduisent un message divin. Pour ne se préoccuper que des textes relatifs aux trois grandes religions monothéistes, la Bible hébraïque, le Nouveau Testament et le Coran, ils sont de ces lectures qui ne peuvent laisser indifférents, et cheminer avec eux est une aventure aussi bien spirituelle qu’intellectuelle.
Bien qu’ils soient en principe des messages universels, les interprétations que ces textes suscitent sont sujettes à tant de commentaires et de comportements divers qu’il appartient à chacun d’en retenir ce qu’il est en mesure de saisir.
Tout le monde ne suit pas des études théologiques, aussi, en matière de compréhension, l’expérience est le premier et principal vecteur de la pensée. Il n’est pas nécessaire de chercher des traces littérales de Dieu pour en trouver en tous lieux, en tous moments, c’est une donnée omniprésente, sous quelque forme que ce soit, dans nos sociétés.
La théologie étant de fait elle aussi omniprésente de nos sociétés, nous sommes tous, consciemment ou non, des néophytes. A-t-on besoin d’un apprentissage particulier ? C’est inutile car l’empirisme n’a rien à envier à une vie livresque, sauf le confort mis au service des chercheurs dans les bibliothèques. L’idéal serait de se servir de ces textes, que les Anciens ont eu la bonté de nous transmettre à travers les temps, pour s’arracher à l’ignorance et à la barbarie de l’esprit, et pour communiquer avec les autres et avec soi-même.
Pour ma part, si je lis les Écritures afin d’y trouver le meilleur, je pense que la critique s’avère souvent nécessaire.
J’ai lu l’Ancien Testament dans une version de poche en deux tomes. Cela m’a pris un certain temps, une petite année, disons. J’emmenais chacune d’entre elles dans tous mes déplacements, jusqu’aux lieux de mes divers emplois, et les continuais à la maison, sur la table de la cuisine en prenant mes repas, ou au lit à la lueur d’une lampe douce. Beau et terrible roman.
La mémoire n’est pas spécifiquement ce que j’appellerais mon point fort. Les souvenirs de mes lectures se traduisent le plus souvent par des impressions. Elles traînent dans mon cerveau, un peu à la façon des comètes, et je n’en recueille que la poussière. Des heures de lecture et d’attention pour pas grand-chose, quoi de plus navrant. J’aime lire, mais il m’arrive de trouver cet effort vain et improductif.
Il n’y a que peu de temps que je lis en prenant des notes. Je remplis des cahiers, les commence surtout, pour être honnête. J’en ai un bleu dans lequel je mélange un peu tout, l’hébreu, le grec et le latin, des commentaires sur la bible et les évangiles, des idées sur les sourates du Coran, que je lis une à une et dans l’ordre chronologique quand je ne me surprends pas à l’errance.
Finalement, je désespère de ne pas trouver le temps d’aller plus vite, plus loin, ne décolérant pas de passer un temps fou à autre chose, de devoir rendre des comptes au quotidien ou de me perdre dans certaines distractions que je juge futiles après coup. Mais enfin c’est dans le sentiment que j’évolue durant ces lectures. Je raisonne, bien sûr, mais je reste réceptif avant tout, et je me laisse souvent dépasser par l’inconsistance des émotions alors que les événements de la vie devraient me conduire à une meilleure maîtrise.
Tant pis, ma théologie est la mienne, très imparfaite, que les exégètes de tous niveaux me pardonnent, ma façon d’apprendre, autodidacte et passionnée, est tout ce que j’ai à offrir à mes lecteurs dans ces lignes.
Pour revenir aux sentiments, je dirai affectionner particulièrement les Psaumes, le Qohélet, le Cantique des Cantiques, et j’avoue être séduit par la belle et dangereuse Judith, et tellement irréprochable. Les Macchabées sont aussi une belle leçon de résistance et de stratégie et j’apprécie en bloc, d’un point de vue littéraire, les Juges. Par ailleurs je me prends littéralement la tête avec le Zohar quand la Kabbale me paraît une quête plus à ma portée, peut-être à cause du jeu ludique des chiffres et des lettres que l’on peut tourner et essayer dans tous les sens, pour trouver du sens, et en toucher l’alchimie.
Je constate, pendant que j’y pense, posséder plusieurs versions de la Bible Chrétienne. Une version de poche de la Bible de Jérusalem, la Vulgate de Saint Jérôme, la sainte Bible du Chanoine Crampon (je l’ai acquise après une discussion avec Pierre Bordage, qui m’avouait qu’elle était une de ses principales sources documentaires), une version des Témoins de Jéhovah, et celle que l’on appelle la Bible des écrivains, dernière-née en la matière et dont j’apprécie la plupart des interprétations. Je vais m’arrêter là, histoire de garder quelques secrets.
Toutes ces versions comportent le pentateuque, bien sûr, mais j’essaye d’aborder les premiers livres selon les traductions et commentaires rabbiniques, ce me semble plus cohérent. Le judaïsme est tout de même le meilleur garant de la Genèse.
Pour le Nouveau Testament, je le redécouvre à chaque fois que je l’ouvre avec un certain plaisir. Notamment les Actes des Apôtres, dont je suis les péripéties ardemment. Il y a un romanesque évident dans leurs histoires, du danger et du risque, ces hommes se retrouvent dans la clandestinité, discutent et les voilà qui repartent à l’action. J’ai appris, au cours d’une expérience dont je parlerai plus tard, à aimer l’Évangile selon Saint Jean, bien que pour des raisons purement littéraires je préfère me promener dans l’Apocalypse. Ceci pour des textes plus proches de mon éducation et de ma culture occidentale que le Coran.
Ma rencontre avec l’islam a eu lieu, aussi étrange que cela puisse paraître, au Château de Chambord, où je travaillais alors sur le chantier d’une exposition. Quelques étudiants de Beaux-Arts étaient venus nous prêter main forte quelques jours avant le vernissage car nous étions « charrette ». El Houssaine était l’un d’entre eux. Je me souviens très clairement de nos discussions, qui portaient sur la peinture orientale, sur le sacré. J’apprenais. Peintre au geste calligraphique, les lettres et les symboles pleuvaient sur n’importe quel support, par terre avec un bâton, sur une nappe de papier avec du marc de café, tout était prétexte à rentrer dans cet univers si fécond que représente la jonction du théologique, du pictural et du conte symbolique.
J’ai deux exemplaires du livre des musulmans. L’un est la traduction d’André Chouraqui, celle-là même que l’on voit sur le bureau du Père Christian dans « Des Hommes et des Dieux ». Ça fait un moment que je la lis, elle est complexe, son vocabulaire et ses expressions sont souvent abscons et rendent le parcours plus difficile encore, sachant que le Coran est assez mal ficelé au niveau de la construction, et que les exégètes eux-mêmes en cherchent encore le démêlé. Il s’en échappe pourtant une belle poésie, peut-être plus recherchée que dans une autre traduction dont je dispose, plus simple, plus populaire certainement, dont je ne sais rien sinon qu’elle a été imprimée au Liban, que sa couverture est en simili cuir bleu, et que l’ornement décoratif est doré. C’est un joli petit volume facile à porter dans la poche de son veston, mais je ne l’emmène qu’exceptionnellement avec moi.
Enfin, puisque chacun y va de ses interprétations, je ne me sens pas plus déméritant qu’un autre, pas plus que vos sentiments et votre intelligence, qui que vous soyez et quelle que soit votre divinité, ne sont des barrières à la critique et à la raison. Si Dieu nous a créés de façon aussi imparfaite, soit c’est une erreur de sa part, soit c’est sa volonté, et rien ne nous empêche de commenter les prophètes, qui seraient eux-mêmes dans l’erreur ou dans la Révélation. Cependant, si l’on considère que Dieu est un concept, c’est à dire un domaine purement spéculatif de la pensée, autrement dit une vue de l’esprit humain tel qu’il est constitué aussi bien physiologiquement que psychiquement, alors toutes les interprétations du Coran ont leur intérêt, qu’elles émanent d’une école coranique ou d’une autre.
Je peux me tromper, mais j’ai la nette impression qu’aujourd’hui peu de personnes s’accordent sur une compréhension positive du Coran. Comment, dans ces circonstances, lesquelles génèrent tant de conflits meurtriers, peut-on alors parler de sagesse ? Ni la base des fidèles, qui subit les conséquences de cette folie, ni les docteurs de la foi, qui contournent le message à des fins de pouvoir temporel, pour soumettre et dominer, ne peuvent s’en prévaloir.
Ce livre, comme tous les autres livres sacrés, appartient à chacun, selon sa conscience. Les prédicateurs et les guides en tous genres feraient bien d’adopter une attitude qu’ils n’ont pas, c’est-à-dire d’humilité. Dieu est une affaire purement personnelle, les commentateurs doivent d’abord parler pour eux-mêmes, ressentir le poids de leurs opinions et des mots qu’ils auront à donner dans leur désir de communiquer, et accepter, tolérer la controverse, pas l’anéantir ni chercher à la faire ployer.
À chacun d’y aller de son interprétation, nous savons lire, non ?
D’ailleurs, en me promenant dans le Coran, je suis arrivé face à une sourate qui m’a plu et qui résonne de quelque chose de positif.
C’est vrai que j’ai aussi été souvent meurtri sous les coups d’un vocabulaire plutôt menaçant. Comment, en effet, ne pas être choqué par les termes qualifiants les non musulman(e)s et les sentences auxquelles ils et elles doivent s’attendre.
J’ouvre le Coran plusieurs fois au hasard.
« Perdants les mal guidés » ; « Jouissez donc, vous saurez bientôt » ; « Ils ont créé leur propre perte » ; « Les transgresseurs, les fourvoyés, les mécréants », etc… »
Soyons honnête, il n’y a pas dans ce livre que la malédiction du genre humain, mais l’omnipotence de Dieu est telle que la Femme et l’Homme ne disposent que peu de leur libre arbitre.
On en rediscutera, l’essentiel est dans les cœurs.
Pour clore ce chapitre, j’en reviens à la 103ème sourate que je voulais évoquer, soit « L’époque » chez Chouraki, ou « Le temps » dans mon petit livre à la couverture bleue dorée. Notez qu’il s’agit de deux mots différents et aux interprétations multiples. Moments de l’Histoire ou espace entre deux périodes ? Notez aussi que ce sont deux mots français, qui n’ont donc pas la portée de la langue arabe telle qu’elle était parlée lorsque les rédacteurs du Coran l’ont rapportée. D’ailleurs, si l’on se transpose en Orient quelques 1400 ans en arrière et que l’on se déplace dans les déserts d’Arabie, je doute que la notion de temps soit la même que celle qui résonne à nos oreilles occidentales. Je sens qu’une dimension philosophique, même intuitive, guide le propos, ce qui n’est pas évident à l’ère de la vitesse exponentielle. En tous les cas cette sourate comporte deux versets d’inspiration mekkoise admirables, et c’est dans l’édition populaire qu’elle me paraît la plus universelle.
« Ceux qui accomplissent de bonnes œuvres s’enjoignent mutuellement la vérité ».
En ces « temps » chahutés, il me semble qu’un regard plus ouvert sur la pensée de l’autre est ce qu’il nous manque aujourd’hui.
Nous sommes tous des théologiens.
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