5 février 2020
« nico nu » vs Buren
Mardi 28 août 2007
À Nicolas, Nico ou nico nu.
Comment te peindre, camarade, sans pinceau, sans peinture, autrement qu’avec des mots. Est-ce une époque à verbe ou un temps pour les maux ? J’ai peur de le savoir. J’écris un roman, « nico nu » pourrait en être le héros, un homme en lutte contre le mauvais temps mais en phase avec l’aurore. Le voici, à l’inverse de mes personnages de fiction, plus fatidiques dans leurs costumes de romance, le voici dans son rire sans théâtre.
Je voudrais bien, Nicolas, faire de l’humour comme tu sais si bien le faire. Trop tard, l’époque ne convient plus. Juste suivre une pensée, et encore. Je suis plus près de Shakespeare que d’Aristophane, ou l’inverse. Un aveu : ce qui m’intéresse, mon frère d’armes culturelles, c’est la dimension dramatique. Le tragique de la comédie.
Vois, notre paix molle où beaucoup se résignent. Ne nous y fions pas. Je vois les travers futurs et cherche les hommes et les femmes d’aujourd’hui qui sauront prévenir nos enfants du danger et les rendront plus courageux. Je les cherche pour les voir et apprendre. Tu es un de ces hommes, Nico, je sais bien que ta vie est ton œuvre désormais, qu’elle patiente sans attendre. Le panthéon des hommes n’est pas forcément près du jardin du Luxembourg. On peut méditer en secret et en silence une gloire jalousée parmi quelques personnes de qualité, autour d’une table, près d’un feu, parmi des verres toujours remplis du sang de la guerre de la paix. Qu’on décore à tour de bras des volontaires poitrinaires, le bouton bombé, ne nous importe peu.
Nouvel homme aux images, je te vois dans des passés obscurs, mettant ta vie en jeu dans une expression franche et massive de paysan, dans une assertion lapidaire d’intellectuel retranché. Te voici dans la clandestinité, contre un pouvoir inique, impopulaire, aidant des peuples opprimés, des juifs, des anarchistes, des artistes, des musulmans, des penseurs ; ouvrant ta maison à des réfugiés, car notre aujourd’hui est une endurance quotidienne à l’oppression du politique et de son administration aux ordres.
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Chez lui, je l’ai observé. Il parlait au téléphone, assis dans un grand fauteuil, dans son salon atelier. Ses traits, que je n’avais plus vus depuis plus de dix ans, encore jeunes, marqués, derrière des yeux pénétrants, endurcis par des rigueurs. Dans sa demeure d’un autre âge, Nico est nu parce qu’il est seul dans sa tâche.
« Je n’ai pas peur de la pauvreté », m’a-t-il dit un jour dans une discussion. C’est une phrase sur laquelle je réfléchis souvent. Combien de gens, engoncés dans des réussites sécurisantes, voient dans l’artiste un fanfaron et dans l’art une occupation inconséquente ? Ah, la pauvreté et son spectre terrifiant, des face à face insoutenables pour des gens normés.
Comment leur expliquer que nico nu entretient sa faiblesse comme un jardinier ses roses. Jusqu’ici, elle ne l’a pas trahi ni desservi. La générosité de l’homme l’en a empêché. En 2012, à l’Imprimerie (encore un lieu disparu), rue Bretonneau dans le Vieux Tours, au terme d’une exposition de ses œuvres, il a préféré les prêter plutôt que de les rapporter dans son atelier et de les stocker. Elles vivent désormais chez les un.es et les autres. Que signifie un tel geste pour un peintre ? Quelle galerie réagirait de la sorte face au marché ?
Un idéaliste ? Je le vois plutôt comme le garant d’une lucidité. Il a le travail solide et bien trempé. Humaniste parfois survolté, j’aime ses airs lunatiques qui lui permettent de relativiser et de repartir vers l’humour.
Demain peut-être d’autres résistances seront nécessaires avec d’autres résistants. À nous, hommes et femmes de conviction et de foi, de les y préparer en souvenir de ceux qui ont laissé dans nos mémoires les élans vrais de l’héroïsme.
Voici pour l’art.
Et voici pour toi, Nico, ce que je pense de toi.
Merci à Yann Layma pour ses photographies
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