MACKO DRÀGÀN Abrégé de littérature molotov

« Mačko DRÀGÀN, 29 ans depuis toujours et à jamais. Prolétaire vagabond colérique d’ascendance balkanique internationalisé. Anarcho-taoïste tendance Pessoa. Ouvrier paysagiste occasionnel et rétif au salariat forcé aux tafs alimentaires. Militant libertaire. Associatif tout-terrain, Pilule Rouge, Punk & Paillettes, Télé Chez Moi, Mouais, 1 Rue Libre, Emmaüs-Roya DTC, etc.« 

Après cette introduction biographique récupérée sur Ni égards ni patience, la page/blog de Mačko sur le site de MEDIAPART, un avertissement préalable s’impose : dans ce qui suit je ne saurai plus ce qui procède de la note, du copié-collé, du plagiat, aussi voudriez-vous m’en pardonner d’avance. C’est-à-dire que pour faire un commentaire convenable de cet impressionnant Abrégé de littérature molotov, il faudrait emprunter aux poètes post-modernes états-uniens, tel Kenneth Goldsmith, et recopier le livre dans son entier mot à mot, en gardant la même typo par-dessus le marché. Parce que le contenu est d’une érudition peu commune pour un garçon éternel de 29 ans.

Je vous rassure, dans son livre Mačko Dràgàn a passé le propos à la moulinette de son vécu. Il sait digresser, parle de lui et de son chat, écoute de la musique et nous la fait découvrir, mais aussi, et c’est le but, il parvient à nous propulser dans la réalité des auteurs pour lesquels la parole est acte — pour paraphraser Victor HUGO.

Durant cette saison hiver-printemps 2023-2024, vous l’aurez remarqué, un certain nombre de parutions sont apparues autour de ce que serait une littérature « engagée » ou politique. Il s’agira donc ici d’une littérature qui ne caresse pas la bête dans le sens du poil. Soit une littérature qui assume à son corps défendant.

ABREGE DE LITTERATURE MOLOTOV par Mačko DRÀGÀN

Il y a des moments dans la vie de l’écrivain où les doutes se heurtent aux certitudes. Où il sera question de vie et de mort pour des raisons existentielles : jusqu’où nos radicalités et engagements sont-ils capables de nous mener ?

Vieux-Nice chat café air au piano voix et musique de Fiona APPLE, le ton est donné, bonne lecture.

D’entrée, le style paraît décontracté sauf que Mačko est un écrivain « mastérisé » en Lettres et Histoire. Ça calme. Dites-moi si je me trompe, l’Université ne serait-elle pas en train de formater la littérature ? Celle-ci ne serait-elle plus qu’un média de plus dans le tout consumériste ? Les écrivains ne deviennent-ils pas, et les écrivaines ne manquent pas à l’appel, les nouveaux spécimens du grand zoo télévisé ? Ateliers d’écriture à la sauce US, master de création littéraire à l’appui histoire de faire « pionniers » en France, c’est toute une philosophie de la langue écrite et parlée qui collabore et participe au tiroir-caisse d’une industrie avide. Un peu de poudre sur les joues, d’insipides photos en mode portrait pour la stature, des articles sur papier glacé tous plus fades les uns que les autres, des romans à en dégueuler sur les relations père mère fils filles, la caresse des élites et plus si affinités, vous comprendrez qu’il serait temps de se prononcer sur ces pratiques de fossoyeurs en puissance de la liberté d’expression, déjà bien entamée. Soyez tranquilles, ce n’est pas le cas de Mačko Dràgàn, sa vie militante est en accord avec le titre du livre et c’est la raison de notre présence autour du feu.

Après cette chronique, je vous inciterai à vous rendre sur le site de la revue Mouais. Dans l’onglet Agenda, gageons que se tiendront en 2024 les ASSISES DE LA PRESSE LIBRE que la revue organise. Le fanzine et la brochure militante y auront certainement pignon sur champ.

Ainsi Enrique VILLA-MATAS vante la littérature portative, les « héros gratuits et délirants […] amoureux de l’écriture à condition d’en faire […] la plus radicale des expériences. »

De même, Walter BENJAMIN écrit : « l’efficacité littéraire ne peut naître que d’un échange rigoureux entre l’action et l’écriture, qu’elle doit développer dans les tracts, les brochures, les articles de journaux et les affiches, dans les formes modestes qui correspondent le mieux à son influence dans les communautés actives plutôt que le geste universel et prétentieux du livre ».

Exit la littérature naïve !

Edouard LOUIS énerve notre homme dans Histoire de la violence, dans laquelle il invoque une agression sexuelle dont il aurait été victime un soir de Noël, ceci pour analyser les origines et les causes de la violence. Les auteurs commerciaux en tête de gondole ne sont pas la tasse de thé de Mačko. Il trouve aussi DAMASIO enflé et prétentieux, le classant dans un genre DELEUZE dévorant DERRIDA, mais il adoucira son sentiment sur cet auteur à la SF collective un peu plus loin.

Passons chez Sabrino CALVO avec Melmoth Furieux, une uchronie actualisant la Commune de Paris dans un présent alternatif, policé et autoritaire, puis chez Michael ROCH, influenceur littéraire et animateur d’ateliers d’écriture sur le thème de l’afro-futurisme en milieu carcéral et universitaire aux Antilles. Heureusement Philip K. DICK est à l’honneur.

Hop, aller simple chez les Dadaïstes et les Surréalistes, ces derniers, avec BRETON, seront inévitablement commentés dans l’ouvrage. Voilà donc Mačko commençant son tour de chauffe. Il en profite pour pratiquer des autodafés et des sauvetages. VASQUEZ, MONTALBAN et CONRAD sortent indemnes du peloton d’exécution littéraire. Il est rappelé que notre camarade poète Garcia LORQUA fut exécuté sommairement le 19 août 1936 par des milices franquistes. Tout ceci est donc du plus sérieux. Le terrain est dangereux, pour de vrai.

Côté cinoche, peut-être avez-vous vu Nope de J. PEELE ou Vesper chronicles. Mačko a un faible pour les films post-apocalyptiques, la SF, les Aliens et pour… Scarlett JOHANSSON (ci-dessous dans Under the skin de Jonathan GLAZER). D’ailleurs, le ciné occupe une place non moins importante dans ce livre. Y sont énumérées le plus exhaustivement possible les œuvres qui intéressent son sujet. Vertigineux !

Je passe sur les nombreuses références cinématographiques, coréennes, US ou autres, et nous atterrissons avec une première apparition de Roberto BOLAÑO, auteur chilien génération punk guérilléro, qui s’en prend à la littérature rassurante et facile à comprendre. Roberto aura une couverture non négligée au cours du livre lorsqu’il sera question des auteurs sud-américains et de leurs luttes. On y verra qu’écrire jusqu’à aujourd’hui dans ces pays à la censure prompte est risqué. Très risqué. Le chapitre dédié à ces luttes légitimes est plus qu’instructif, il est vivant et rend un bel hommage à tous ces combattants de la liberté. Leurs exemples ne doivent pas être ignorés. Respect !

Dans mes notes, prises en deuxième lecture de ce copieux abrégé, j’ai élaboré une liste de noms propres, d’œuvres et de citations. Il est très judicieux de la part de Mačko de jalonner le texte de longues citations. S’il sera toujours possible de plancher sur son bouquin dans une bibliothèque universitaire, genre l’excellente bibliothèque de l’Université François RABELAIS à Tours, ou d’ouvrir un moteur de recherche à la maison, le kit idoine de survie littéraire se trouve cependant inséré dans le livre. Encore une fois, et il n’y a qu’à se rendre avec lui chez les Avant-gardes russes, les Futuristes, les Surréalistes, chez les auteur·es du Nouveau roman, chez les Situationnistes, pour ne citer qu’eux, pour se faire une idée de la richesse de son Abrégé.

« éveiller les forces vives de l’histoire »

Diaty DIALLO contre les violences policières ; Ascanio CELESTINI « Il razzismo è una brutta storia » ; CASEY rappeur gratteur de paradis ; ZIPPO rap français armé d’une hache ; Milorad PAVIC univers où rêve et réalité se croisent sans cesse ; le grand Julio CORTAZAR et son écriture mandala ; à nouveau BOLAÑO « Nous vivons à l’époque de l’écrivain fonctionnaire » ; avec Guillermo DEL TORO Pinocchio résiste au fascisme en beau costume souriant ; BOLCHEGGEK à l’huma ; Evelyne PIEILLIER et ses imaginaires de l’avenir ; Corine MOREL-DARLEUX au secours le réel ! ; Herman BROCH et les écrivains délinquants…

Ce n’est pas fini, il y a un passage sur l’archéologie des charniers de la lutte poétique et romanesque, dont j’extrais du maelstrom : BAKOUNINE anarchie et  socialisme ; Vladimir Ilitch OULIANOV contre le « spontanéïsme » ; TROTSKY et SERGE même combat ; Walter BENJAMIN philosophe surréalisto-anar-antifasciste « éveiller les forces vives de l’histoire » ; la littérature contre la coercition, l’impérialisme et le capital ; l’esthétique de combat militante ; la mort de la révolution poétique ; nos années 20 avec HEMINGWAY FAULKNER STEINBECK FITZGERALD ; puis MAÏAKOVSKI conspirateur ; Ernst JÜNGER et ses falaises veinées de bleu, de rose et de flammes ; Theodor ADORNO l’impossible poésie plus jamais après ça ; Garcia LORCA l’antifranquistador ; DESNOS prophète surréel et résistant ;  les auteurs yiddish de la nuit des poètes assassinés ; Peretz MARKISH acteur décisif du Groupe de Kiev ; les Beatniks des fifties génération GINSBERG KEROUAC CORSO MCCLURE ; Patrick MARCOLINI et les Situationnistes des années 60 et 70 ; Jim MORRISON « Je veux écouter le dernier poème du poète ultime » ; Richard MEMETEAU tout faire péter avec la pop…

Après ce panorama en accéléré, on plonge dans le Post modernisme, une notion où s’annonce le néo-libéralisme le plus débridé avec des critiques de Fredric JAMESON (souvent cité et commenté) look lunettes chemise universitaire gauche prêt à penser le présent historique ; CASTORIADIS et LEFORT auteurs de Socialisme ou barbarie en hommage à Rosa Luxembourg ; Robert VENTURI archi post moderne ; Federico de ONIS SANCHEZ qui publie une Anthologie de la poésie espagnole et hispano-américaine ; Jean-François LYOTARD critique de la notion de postmodernité « J’ai fait référence à des bouquins que je n’ai jamais lus » ; Ihab  HASSAN élevant la conscience sadienne au rang des modernes avec The Dismemberment of Orpheus : BRECHT « Tout se casse la gueule » ; Jean BAUDRILLARD analyse les modes de médiation et de communication de la postmodernité ; les Simulationnistes de New York copient et font du blé ; les frères WACHOWSKI et la question néo-fondamentale « C’est quoi la Matrice » ; Perry ANDERSON aux origines de la postmodernité ; et Judith BUTLER philosophe de combat pour la justice sociale…

À partir d’ici, Mačko DRÀGÀN historien reprend la main. Nous voyageons de communisme en communisme, TITO prend le pouvoir en Yougoslavie, McCarthy voit rouge, indépendance de l’Inde avec NEHRU, fin du modernisme avec le débarquement de la télévision, l’Alliance atlantique se ligue contre les idées alternatives au capitalisme, HO CHI MINH vainqueur seul contre tous, NASSER s’impose en Egypte et le Che marche sur Cuba, l’ère des contre-cultures approche, Jean-Paul SARTRE refuse le Prix Nobel, mai 68…

Printemps de Prague et socialisme à visage humain de DUBCEK réprimé par les troupes du Pacte de Varsovie ; KUNDERA écrit L’insoutenable légèreté de l’être ; guerre US au Vietnam ; ALLENDE se suicide ; premiers chocs pétroliers ; les idées des PINOCHET, FRANCO, REAGAN prospèrent et THATCHER casse les grèves des mineurs au Royaume Uni ; chez nous MITTERRAND désespère la gauche en caviardant ses courtisan·es.

Retour sur la littérature, Pierre SEGHERS sort une Anthologie des Poètes maudits de 1946 à 1970 ; arrive une ère de nouveaux suicides poétiques ; trahison de Daniel BUREN vendu au marché, branlage de l’art conceptuel.

À partir des pages 50/60 — eh oui, nous n’en sommes que là — notre époque reprend le flambeau. L’Abrégé de littérature molotov comportant la bagatelle de 241 pages, n’imaginez pas une seule seconde, ami lecteur, amie lectrice, que je vais à ce rythme commenter les 191 suivantes. Vous seriez vite saoulés. Quant à une synthèse de trois-quatre lignes, j’avoue ici mon impuissance en plus de mon désintérêt pour le résumé. Je préfère vous donner envie d’en savoir un peu plus et en détail sur ce que les hommes et les femmes de lettres du XX° et XXI° siècle ont enduré ou endurent, et que vous vous procuriez ce monument, auquel je souhaite la reconnaissance qu’il mérite.

PEREC et QUENEAU ne sont pas oubliés, loin de là, vous verrez. Ne ratez pas non plus les pages qui décollent du continent sud-américain, j’insiste, c’est de la balle de révolver.

Avant de nous quitter, parce qu’il faut bien se marrer un peu, nous irons gaiement entarter quelques nouveaux philosophes de mes deux, et cela nous fera un bien fou.

PETROLEUSES QUEER LGBTQQIP2SAAK

Après un chapitre où entrent en scène les PETROLEUSES de la littérature molotov, les femmes et les âmes QUEER de l’alphabet LGBTQQIP2SAAK sont également au rendez-vous en fin d’ouvrage. On aura entre temps vu passer Virginia WOOLF, Marguerite DURAS, Françoise SAGAN, Nathalie SARRAUTE, Nelly WOLF, Monique WITTIG, Annie ERNAUX, PJ HARVEY, Christine AVENTIN et Fifi BRINDACIER. Niveau Histoire avec un grand H, je vous conseille de lire les ouvrages de Michelle ZANCARINI-FOURNEL, historienne, qui retrace des destins de femmes militantes et révolutionnaires à travers les soubresauts populaires en France.

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ATTENTION MOUVEMENT LITTERAIRE

Pour terminer, je rebondis sur un propos d’Yves CITTON, philosophe, professeur de littérature et médias, que j’ai lu sur la Revue de Presse des Politiques Culturelles :

 « Nos pratiques de critique culturelle ont l’habitude de commenter la sortie d’un nouveau film, la première d’un nouveau spectacle ou la réception d’un nouveau roman. Elles ne portent jamais sur la soutenance d’une thèse universitaire. Ces soutenances sont pourtant publiques. L’indifférence générale du monde culturel face à ce rituel universitaire – tant que le candidat n’est pas connu pour ses positions négationnistes – en dit long sur la coupure qui sépare la sphère médiatique de la vie académique, ainsi peut-être que sur l’hyperspécialisation sclérosée dont souffre cette dernière. »

J’espère que cette modeste chronique lui prouvera que tout n’est pas perdu. J’y pense. Même éloigné des académies et des médias, s’intéresser à un mouvement littéraire « en temps réel » et aux chercheurs et chercheuses qui lui donnent force et écho, que ce mouvement dure ou non, me paraît une évidence. Les cycles vont et viennent, révolutionnent et régressent, puis repartent. Nous sommes des habitant.es du cosmos, nous ne cessons de tourner sur nous-mêmes.

Le mot de la fin, et en musique avec Sublime, est à Mačko DRÀGÀN :

« Écrire, c’est se faire porte-parole ».

Merci de votre passage en ce point précis de l’univers.

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