1 novembre 2025
Les fantômes de Montgoger
NOIR MATTERS
Une collection d’art africain actuel à Saint-Épain en Touraine
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Ayez une terre à vous !
Mohamed Mbougar Sarr
Dans La plus secrète mémoire des hommes.
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Printemps de Touraine,
Je suis un sauvage, un violent.
Printemps de Touraine,
Laisse-moi dormir.
On ne badine pas avec un nègre.
Léopold Sédar Senghor
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Amies lectrices, amis lecteurs, pour vous les plus sensibles, pour vous qui voyez, avant de commencer la lecture du texte qui va suivre je suis obligé de vous tenir cet avertissement. Là où je me suis rendu et où je me propose de vous conduire maintenant, je ne peux que vous exhorter à vous munir d’un objet qui vous permettra de vous affranchir des ondes les plus terrifiantes, pour ne pas dire maléfiques, que l’on puisse rencontrer dans la nature.
Bannissez le hasard de votre promenade, le diable sait mener jusqu’à lui les âmes faibles ou peu conscientes. Un bon sorcier saura l’en empêcher ou le contraindre à exercer ses terribles talents. Moins rarement que je ne l’aurais souhaité, des forces se sont manifestées à moi et j’ai mis du temps avant d’en accepter les conséquences. Je sais aujourd’hui que ne suis pas entré dans le sacerdoce de l’art par ce hasard, que je laisse à l’entrée du chemin lorsque je m’y engage en connaissance de cause.
Un esprit druidique parfois me parle à l’oreille, je n’ai pas rencontré Jean-Jack Martin sur nos terres ligériennes par hasard, ni goûté les tomates de son jardin par pure coïncidence. Grâce à mon guide, que je vous présenterai tout à l’heure, sachez que je vous emmène dans une Touraine très éloignée du monde connu.
Je vous réitère néanmoins mon conseil, prémunissez-vous d’un gri-gri quelconque, un médaillon, une croix de bois, un caillou, une amulette, un portrait, un livre, une poésie, un ami ou une amie sûre, et gardez son pouvoir protecteur à portée de main et à l’esprit lorsque le moment surgira.
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Vendredi 24 octobre 2025, sur la route de Saint-Épain, un village en Touraine qui tourne plus ses regards vers le sud et le pays poitevin, c’est un trait culturel, Tours est déjà loin. Je m’arrête à Sainte-Catherine-de-Fierbois ; j’ai appris un jour je ne sais plus où que Jeanne d’Arc s’y était arrêtée pour aller quérir l’épée avec laquelle elle ira à Chinon à la rencontre de Charles VII avant d’aller bouter les Anglais hors de France. Vous connaissez la suite, la joliment bien nommée Pucelle d’Orléans brûlera à Rouen sans faillir au terme d’un procès inique que je conseille aux belles âmes de lire.
La Sainte Catherine se fête le 25 novembre. C’est le moment de planter car le dicton dit : « À la Sainte-Catherine tout bois prend racine » et vous pouvez le croire. Voilà pour « de Fierbois » et pour l’anecdote.
J’ignore si vous ferez un parallèle de ces premières lignes avec l’usage que les droites les plus à droite de notre régime parlementaire font de notre icone sainte et guerrière, mais voyez-vous, en pénétrant sur des terres où le roman national reste profondément ancré dans les esprits et les mœurs, je prends les devants. J’y pense parce que je sais qu’à un moment où à un autre ce fait se présentera aujourd’hui à moi d’une manière ou d’une autre, par un monument ou une parole, n’importe quoi qui marquera cette terre qui arrêta il y a de cela mille deux cent quatre-vingt-treize ans les avancées sarrasines par un autre héros national, Charles Martel. Je vous conseille la lecture d’Edward Gibbon dans son histoire du déclin et de la chute de l’Empire romain qui relate la Bataille de Tours, dont chacun sait qu’elle a eu lieu en l’an 732 de la Chrétienté, puisqu’il s’agissait aussi de défendre cet aspect de notre civilisation, et très certainement de son trésor.
Par ailleurs, ceci pourra faire l’effet d’un nouvel article plus tard, les terres du Cardinal de Richelieu et de sa ville se rapprochent mais je n’irai pas aujourd’hui jusque-là bien que leur aura est très prégnante dans cette région.
Je venais donc par la route sur ces territoires dont l’histoire contemporaine semble oublier ses faits d’armes — je n’irai pas jusqu’à dire ses victoires — et retrouvais mon guide, Dominique, une amie chère, laquelle, connaissant mon intérêt pour l’art actuel, m’avait proposé de l’accompagner visiter la collection Margaux et Raphael Blavy, dédiée à l’art africain d’aujourd’hui, et dont certaines pièces sont visibles au Château de Montgoger sur la commune de Saint-Épain.
J’avais failli, l’année dernière, assister à une première exposition d’œuvres d’artistes africains à Saint-Épain, dont le thème était alors celui du portrait. C’était également la première édition du festival Ar(t)chipel, dont une rencontre récente avec M. Patrice Debré, fils du peintre tourangeau Olivier Debré, m’avait appris la genèse d’un projet en lien avec les collections du Musée Pompidou. Élargi à des artistes présent.es en Touraine, j’avais eu la chance de rencontrer l’année dernière Julien Des Montiers dans son atelier de Richelieu — je savais bien que j’allais repasser par Richelieu — et à qui j’ai promis un article que j’honorerai sans doute avant la fin de l’année ou l’année prochaine tant il y a de fils à dérouler de ce côté-ci de la peinture française, qui semble retrouver de nouvelles lettres de noblesse après des décennies de mise à l’écart pour cause d’art conceptuel et d’un discours assez peu engagé dans la figuration, c’est-à-dire dans la narration, depuis les années 80 et plus précisément depuis la Figuration Libre, dernier mouvement connu de la peinture française.
Personnellement, et ceci m’engage, je considère que les artistes du discours et des différentes inspections ministérielles ont écarté le public de la connaissance des œuvres et de leurs créateurs. Un voile pernicieux s’est imposé dans l’appréciation de l’art et de la culture. C’est alors toute une idée que je me fais de la liberté d’expression qui en subit les conséquences, que ce soit au niveau des arts plastiques mais aussi de la poésie.
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Parlons de poésie avant d’entrer sur ces territoires qui sont pour moi des au-delà du fleuve. Le sud est une inconnue, un rempart liquide m’en sépare. Jamais je ne franchis la Loire et le Cher sans un élan aventureux qui me pousse en-dehors de mes limites septentrionales. Je viens du nord, ma géographie primitive est la Seine qui coule entre Neuilly et La Défense. Nanterre est la terre de mes plus proches aïeuls. Là, il y a quelques années, j’ai rencontré une Afrique exilée qui errait entre des bâtiments absurdes peints de nuages tout aussi absurdes. Un peuple des cités faisant le pied de grue dans une oisiveté forcée par la destinée du déracinement et de mesures sociales inadaptées. J’ai vu de près tout ce qui nous séparait, sauf le terrain d’à-côté où s’ensevelissaient nos familles blanches et noires. C’est tout ce qui nous liait, cette terre qui fait le tour de la terre, qui traverse les mers et retient le soleil et qui forme la fosse du fossoyeur pour nous recueillir quand nous avons cessé de nous manifester si souvent stérilement.
Que dira l’artiste africain que je verrai tout à l’heure dans le château d’une noblesse d’épée qu’un jour de fête un incendie réduira en une ruine insurmontable. Je me pose la question quand tout à coup une distorsion dans l’espace-temps me projette dans le passé. C’est l’été une nuit de pleine lune. Je marche aux côtés d’une noble jeune fille autour du spectre de sa lignée. Cette gente personne me conte l’histoire de ce chevalier adoubé par François le Premier pour sa bravoure. Azincourt n’avait pas massacré toute la chevalerie française, les femmes avaient continué leurs œuvres sous l’assaut de maris toujours pressés de léguer leur patrimoine à leurs fils aînés et aux lois de l’époque. Une chouette hulule sous la lanterne froide du ciel et je laisse mon imagination glisser sur les pentes du Milanais au rythme galopant des chevaux à la conquête des pays latins.

Une œuvre en céramique de Chada, détail d’une installation intitulée « Pas très loin » – 2025 Saint-Epain, château de Montgoger.
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Je suis ici, dans ce deuxième millénaire, le mirage a disparu sous la pluie. Soudain, l’édifice tente de s’illuminer sous les derniers éclats d’octobre. Sa triste figure de gloire déchue vante la pierre grisée de ce pays qui n’est belle et chaude que sous les rayons du soleil de l’été. J’entends les canons de la victoire et je vois ce beau et jeune héros remonter des plaines italiennes jusqu’aux terres pluvieuses de cette Touraine entre deux cultures.
Il arrive à cheval, sa mère et son père fondent à sa vue. Ce sont des paysans, ils se sont saignés pour fournir un cheval, un harnais et une armure à leur fils unique, et voici qu’il revient riche et glorieux. Il ne tarit pas d’histoires et de batailles, il a combattu aux côtés de François et il a connu Léonard de Vinci, dont il a eu pour mission de l’escorter jusqu’à Amboise avant de rentrer à la maison. Il possède le feu de la jeunesse, ce preux chevalier, c’est un entrepreneur, il retrousse ses manches. La terre est pierreuse, que cela ne tienne, il construira un château avec les cailloux arrachés aux sillons des champs saint-épinois à coups du soc de l’araire. Et tandis qu’il raccroche l’épée et se met aux labours, il prend le cygne pour emblème, forme famille et lignée, et appelle cette colline Mont-Gorgé parce que les fables d’antan n’ont pas oublié les druides qui faisaient chanter les sources alentour.
Avec le temps, le mont s’est rapproché de la gorge et le R s’est déplacé à la fin du mot. Montgoger devint plus facile à prononcer. Ce sont ces restes d’une chevalerie d’épée et d’antan devenue agricultrice que je regarde changer de ton entre deux nuages, entre deux rayons ou averses. Mon guide et moi sommes arrivé.es, le nouveau propriétaire des lieux nous prie d’entrer et nous fait la visite des anciennes écuries, vastes, dignes des grands veneurs, dont le comte Jean de Sinety était un fier représentant, un chasseur à courre, mais c’est déjà une autre époque. En ces temps-là, le gibier se coursait et les gens du pays battait l’hallali tous en cœur dans une frénésie qui s’est perdue, comme la France d’aujourd’hui qui ne sait plus ce qu’elle dit dans le lit de sa démocratie malade.
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Mon guide et moi sommes ébahi.es. Nous avons auparavant visité le presbytère et l’église de Saint-Épain, l’exposition dans ces écuries ouvertes aux quatre vents est tout simplement magistrale. Mes photos sont heureusement un témoignage qui facilite la description, je vous laisse les découvrir au fil de cet article.
Et pendant que M. Rodolphe Blavy nous fait le double honneur de sa présence et du commentaire de la visite, un certain nombre de questions me viennent à l’esprit. En quelques minutes d’attention et d’inattention, parce que je m’approche des œuvres, que je tâche de ressentir quels esprits leur ont donné forme, tandis que des détails me subjuguent et que je prends des clichés, notre hôte parle des artistes et de la manière dont les œuvres ont été choisies pour répondre au thème : « NOIR MATTERS », dont le titre fait référence aux luttes contre le racisme aux États-Unis, qui méritent d’être relayées. Chaque œuvre mériterait un développement précis, la force qui se dégage de chacune d’elle est insolite dans ce décor tout aussi insolite. Il y a un décalage surréaliste, et je n’écris pas cela en référence à Michel Leiris, qui fut membre du célèbre mouvement littéraire avant d’en prendre ses distances et de répondre présent à la mission Griaule, qui parcourra en 1931 l’Afrique d’Ouest en Est, aussi appelée la mission Dakar-Djibouti et dont l’écrivain fera une description autant sévère que « réaliste » dans « L’Afrique fantôme ».
Toutefois, les mondes s’inversent. Les œuvres présentes, qui décrivent des préoccupations éminemment politiques, nous forcent à une interrogation qui remet l’art à sa place la plus émancipatrice, c’est-à-dire sa faculté à s’interposer lorsque les pouvoirs vont trop loin dans l’accaparement des libertés ou des ressources. La scène artistique européenne a perdu ce sens critique, M. Blavy le constate subtilement dans son interview accordé à Diptykmag. Nous évoquons le sujet, la situation africaine est tellement lointaine et différente de celle de nos pays d’Europe que la comparaison est difficile. C’est possible, le contexte du marché occidental dont les moteurs sont aujourd’hui incarnés par des géants de la scène artistique allemande ou anglaise, par la scène US ou par les artistes des pays dits émergents devrait nous interroger sur la place des artistes français dans le monde.
J’ai l’impression que les Occidentaux auront plus de facilité à comprendre les luttes africaines, à défaut de les accepter et de militer en leur faveur, et dont pour beaucoup d’entre elles le colonialisme en a semé les germes, plutôt que de saisir celles dont nous devons déployer les étendards, très urgemment, à savoir les relents du fascisme, en France notamment, voire pire en Allemagne, et les propositions guerrières que les élites de plusieurs pays d’Europe posent comme conditions d’une nouvelle fondation de l’esprit commun ; ceci en tentant de ranimer des flammes patriotiques, peut-être perdues en cours de route, quelque part entre l’individualisme des dirigeants au pouvoir et les privilèges de leurs entourages.
Il ne s’agit pas pour moi de dire si un ennemi est effectivement à nos portes ou s’il a été provoqué dans un moment de constat pragmatique de la part des dirigeants occidentaux, qui ont subitement compris que l’Europe n’était pas stable face aux enjeux du mondialisme, ni de disserter sur l’inquiétude que ces mêmes dirigeants doivent ressentir face aux impressionnantes avancées des pays dans le train d’une émergence qui nous dépasse à très grande vitesse. En tous les cas, les artistes du continent africain et de sa diaspora s’expriment autant avec talent qu’avec pertinence sur les libertés de leurs peuples. Ils ne font pas, et c’est heureux, dans le cliché de couleur exotique. Non, ils sont dans un présent qui nous interpelle dans leur quotidien. Que ce soit en bas des tours de Ricardo Bofill et dans les périphéries parisiennes, dans l’Angleterre du Brexit ou dans les rues de Los Angeles, je parcourrais la planète de Saint-Épain à Johannesburg que je verrais toujours, chez les artistes et les auteurs, cette même nécessité de décrire le monde et à en dénoncer les abus en marquant du sceau de la justice les grands profiteurs d’une humanité qui a besoin de repères pour s’émanciper des prédateurs, dont les politiques les plus malveillants sont souvent les pires représentants.

Vue de l’exposition NOIR MATTERS avec les peintures de Umar Rashid et celle de Ouattara Watts au fond de la galerie.
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M. Blavy est un collectionneur engagé dans la défense des artistes africains et leur droit de créer, de s’exprimer et d’aborder, il faut bien le dire, les marchés mondiaux au même titre que leurs confrères et consœurs occidentaux. C’est tout à fait légitime et louable, c’est ce qu’à mon niveau local j’ai toujours fait pour mes camarades plasticien.nes.
Avec l’âge, j’ai appris à voir les disparités qui existent en France entre différentes catégories d’artistes, même si écrire « catégories » est assez mal venu. Il vaudrait mieux parler d’inégalités de traitement et de reconnaissance. Les déficiences volontaires de nos institutions culturelles ont produit des classements cartésiens qui se réduisent trop souvent à celles et ceux qui se conforment à leur idéologie ou à leur ministère. Les autres, qui défendent des idées plus proches de l’égalité des chances et du partage des biens dans l’intérêt général, sont exclu.es du sérail. Le marché de l’art en France, et ce qu’il produit en termes de sens, est souvent conditionné à respecter des critères d’obéissance, parce que la puissance publique n’a pas tout à fait laissé le marché s’émanciper, exactement comme dans l’édition qui ânonne les messages ambiants les moins fâcheux. Nous n’avons pas eu beaucoup de temps, Rodolphe Blavy et moi, d’aller très loin dans le vif de ces sujets qui nous intéressent apparemment tous deux, même en fonctionnant chacun dans des univers distants par des années-lumière. Nous nous sommes quittés en partageant néanmoins deux principes qui méritent d’être reportés.
Le premier c’est la soumission des peuples au « palais ». C’est une image, bien sûr, mais l’humanité vassale est trop souvent « impressionnée » par ce qui se fait de plus grand qu’elle et qui la domine. La région autour de Saint-Épain est et sera très longtemps encore sous l’influence de son château et de son histoire. La présence d’un nouveau châtelain provoque dans ce lieu aux mémoires transgénérationnelles un choc culturel. Du jeune écuyer de François Premier à l’esthète engagé aux côtés de l’Afrique et de ses artistes, nous ne sortons pas fondamentalement d’un paradigme pour un autre. Le palais, ou ici le château, tous deux restent l’apanage d’une élite, qu’elle soit d’épée, de robe ou d’écus.
Grâce au Palais encore, Léonard de Vinci est à Amboise, et grâce aujourd’hui à un grand argentier sur l’échiquier mondial, c’est une autre collection qui s’invite en Touraine. Au seizième siècle, la Renaissance faisait son œuvre, au XXIème nous pouvons nous poser plusieurs questions, ou par exemple nous soucier de la position française, aussi bien en matière artistique que financière. Les débats à l’Assemblée Nationale nous donnent une idée assez précise du théâtre politique dans lequel nos députés et notre gouvernement nous embarquent. C’est le prix de la démocratie, paraît-il.
Par ailleurs, notre hôte est auteur de livres. Ce point nous est commun. J’ai toujours considéré les écrivains, quelles que soient nos divergences, comme des alter ego. Évidemment, certains me sont franchement antipathiques. Mais dans le cas de Rodolphe, ces ouvrages nous emmènent en voyage, en Afrique bien sûr, dans une histoire de fuite, d’amour et de rencontres, ou plus récemment il nous invite dans le nucléus familial d’une paternité particulièrement intime au sein de laquelle un être ne peut que se dévoiler. À lire Le pardon et surtout, je pense, Enfants. J’imagine bien un échange d’ouvrages, entre auteurs et camarades de lutte ça se pratique, lors d’une éventuelle prochaine rencontre, qui sait, nous verrons.
Tout à fait à propos, la collection que nous admirons porte le nom de ses deux enfants, Margaux et Raphaël. Ils jouaient gaiement près des ruines du château de Montgoger pendant que mon amie et moi en faisions le tour. En les saluant de l’autre bout du pré au moment de partir, je voyais une relève potentielle des traditions locales. Cette petite fille et ce garçonnet vivront bien des épreuves avant d’être parfaitement intégrés dans le paysage, mais c’est possible et souhaitable parce que les enfants brisent les conventions et savent être partout chez eux.
C’est très certainement cette faiblesse à retardement que mon guide, agente très spéciale du Syndicat des Rivières en Val de Vienne, aimerait combler. Voyez, une collection de renommée mondiale, le jour où son plus actif promoteur est présent pour la faire partager au public, seules deux personnes sont présentes. Pourtant, en Région Centre Val-de-Loire, le réseau Ar(t)chipel ne fait pas les choses à moitié, sa communication est tout de même d’un haut niveau.

Vue de l’exposition NOIR MATTERS – Anciennes écuries du château de Montgoger – 2025 – Avec les œuvres de Mahau Modasikeng, Mikael Armitage, Simen El Kamen et Igshaan Adams.
Ce que mon amie et guide montre du doigt est l’inscription de cette activité dans le paysage de la ruralité qui entoure le projet de la collection Margaux et Raphaël Blavy. Ses ressources culturelles sont une présence et une activité dont la Région fait la promotion, c’est à considérer au niveau local. Le château d’Amboise, cher à notre camarade François 1°, à lui seul n’aurait peut-être pas offert de telles opportunités à la ville si Léonard de Vinci n’y avait pas trouvé également refuge. À Saint-Épain, l’histoire s’est engagée dans une autre continuité et de nouvelles habitudes de la part des populations locales pourraient en profiter. Le château et le palais recèlent des opportunités, et il est parfois utile de s’en approcher pour les découvrir.

Moffat Tadakiwa – « The Prescription » – Installation murale dans l’église de Saint-Epain – 400 x 150 cm – 2017
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Mais pendant que l’esprit de la dévastation du continent africain tentait de m’abattre, le mot « vérité » a été prononcé. C’est un mot et une notion que j’interroge depuis mes premiers pas vers l’art et l’écriture. C’est un mot magique, un sésame à l’existence pacifiée de ses terreurs et des abominations qui se lèvent chaque jour pour nous induire en erreur.
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Aussi entrons dans ces espaces aux vibrations vraies. Parlons des œuvres, ou traversons les contrées qu’elles dépeignent. Je suis assis à mon bureau, l’intense fatigue qui m’a envahi le lendemain de cette visite m’a conduit dans des songes d’où le cauchemar s’est tu par l’action salvatrice de la conscience réparatrice. J’ai rêvé d’une musicienne de ma connaissance qui écrit des opéras et dont l’œuvre et la vie sont proches du Christ. Il était là dans l’église de Saint-Épain, le Fils prodige, accroché sur sa passion au-dessus des prières des femmes, sa mère et celle qui l’a accompagné sur les routes de Sa Gloire, son amante peut-être, sa compagne très certainement, et dans ce tableau à la fois lumineux et noir, le peintre réussit à illuminer l’homme en croix. En entrant, nos amies qui nous accompagnent, notre hôte et moi, se signent. En faisant ceci, c’est à nous aussi que ce salut à la divinité chrétienne s’adresse. C’est ce cœur en chacun de nous qui se met en travers du mal, je vois le Père et le Fils et le Saint-Esprit, et moi, Michel, athée, agnostique et païen à la fois, adorateur du cosmos et des astres, contemplateur des idoles et respectueux de toutes les émanations de la foi sur terre, je suis dans mon cadre céleste et terrien à la fois. Et je sais soudain que j’ai avec moi l’arme qui me permettra de survivre à l’épreuve qui se rapproche.
J’ai commencé ce texte en forçant l’écriture. De la même manière que j’avais écrit sur la poésie palestinienne ces derniers mois, je pensais qu’il me faudrait des mois pour rédiger quelque chose de complet sur les artistes dont je venais de croiser le destin pictural. Ce type de challenge que se lance un écrivain est parfois un leurre auquel il doit réfléchir avant de se mobiliser totalement, surtout si, comme moi, il s’évade et s’emporte dans des tirades lyriques ou digresse dans ses vies intérieures auxquelles nul n’aura jamais accès mais qu’il tentera d’offrir en cadeau à ses lectrices et lecteurs potentiels en gage de sa vérité, de son existence. C’est donc à chaud, quelques heures à peine après cette visite et sans exigence livresque ou documentaire que je m’engage vers vous aujourd’hui dans ce partage d’impressions.
Hier, j’étais comme Virgile prêt à sacrifier à chaque étage de la conscience humaine. La Fille du Destin m’avait pris par la main comme l’enfant que je serai éternellement à la porte de la Curiosité. Car il faut beaucoup de confiance pour suivre presque aveuglément la main qui t’emmène là où ta petite voix céleste te susurre de faire très attention.
Et puis il y a cette conscience gardienne du cœur et de la foi. Oui, je prends sa main et avance. Poussons la porte, que nous sachions ce qui jaillira une fois que nous aurons franchi ce seuil fatidique. J’ai dans mon fourreau l’aiguille de la perception, je le sais, tous les druides, les chamans, les guérisseurs et les guérisseuses, les cartomanciens et les cartomanciennes, les sorcières et sorciers que j’ai rencontré.es dans ma vie me l’ont dit avec beaucoup de précaution et de prévenance, j’avais cette faculté d’écoute des forces invisibles.
Mais qu’en savais-je réellement à cet instant précis où j’entrai dans ce bâtiment gris et humide ?
Rien. J’étais vierge.
Et peu à peu les énergies en présence ce sont manifestées.
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Stances poétiques
Je suis un signe d’air.
Ma constellation est aux Gémeaux, le visage à double face.
Au centre l’archer du Sagittaire les réconcilie.
J’entre en résonnance avec l’eau sur laquelle je glisse les jours de grands vents.
Je cogne et caresse la terre fertile aux arbres hauts et aux beaux vergers.
Je souffle sur le feu et l’attise quand bien même il me consume.
Et tout à coup, l’ineffable se produit.

Installation au sol de « Pas très loin », installation céramique et textile par Chada. Au mur « Fish », une œuvre de Ouattara Watts
INRI
L’eau, le feu, la terre et l’air se rencontrent
Igne Natura Renovatur Integra
Le N se renverse et c’est mon corps qui s’enflamme
Il faut faire ce voyage dans l’obscurité avant de sortir de ce soi sans savoir
Tous les rites du monde passent par de telles initiations
Les contes et légendes de l’Afrique Noire en sont pleins
C’est le moment où la transe commence
L’élément feu est entré par ma bouche
Il me brûle les poumons
La terre se soulève et se met à tournoyer
La ronde des femmes a commencé
Transes en dances
Des carcasses d’animaux sortent des profondeurs
Elles hurlent des souffrances de la prédation
De l’abattage de masse et de la chasse
Des dents de l’homme carnassier qui les a dépecées
Des pieux qui leur ont transpercé les flancs
Voyons leur mort révélée dans des grottes souterraines
Des mains leur ont rendu leur dignité
La lame s’est enfoncée au cœur
Le daim est mort au milieu de la meute
Il est sacrifié en se noyant au fond du lac
Sa tête est jetée aux chiens dans la cour du château
Son crâne orne la tente du chef ou de son fils
Il porte les stigmates de son existence fauchée
Au sud au nord les liens sont froids et métalliques
L’homme est pris au piège
Sa prison l’emmure
Ses rets l’égratignent jusqu’au sang
Sa peau est rougie du brasier
Ses tatouages sont des chiffres
Des appartenances à ses maîtres
Ou d’austères dessins où chacun marque une épreuve
Un supplice ou l’espoir d’une délivrance qui ne viendra pas
Il est muselé par ceux qui refusent sa fraternité
Il meurt à petit feu dans la dépossession de lui-même
Il ne s’appartient pas
Il avance dans le joug
J’entends ses chants hurlants
Ses danses acclament la nuit et la foudre du désir
La sueur ruisselle sur ma peau
Je suis ce noir battu et sauvagement détruit
Réduit à porter charrier servir
Obligé de me prosterner
De subir de me pencher
Je suis cette femme noire
Si jeune
Qui doit être pénétrée et pénétrée encore
Et je suis ce monstre qui la pénètre
Et la tue devant ses enfants
Dans un rire déchirant la montagne

Umar Rashid – « Hot boy summer. Bathe in the orange afterglow of it all and remember these dancing days »- 1976 – Acrylique sur toile
Car je suis cette bête d’homme immonde pour qui la vie est un néant
Qui tue viole s’accapare meurtrie torture
Le rire toujours en moi
Mais jamais l’ignorance
Je suis l’inverse de la connaissance parce que je sais
Je sais le démon en toute âme
Et ma raison est ma seule boussole
Elle condamne des nations entières
Et leur prend leurs ressources
Leur force au travail
Leur plus tendre jeunesse
Je me ris oui de ces plaisirs
Je suis au-dessus du lot des gueux
Roi prince président ministre
Tout m’appartient et les nations me courtisent
Mon or mon phosphate mon pétrole mes métaux rares
Mes diamants mon argent
Mais je n’ai pas de petite monnaie
J’en demande et redemande plus aux cartels
Pour acheter à l’étranger
Pour me décorer et briller dans des limousines noires comme l’ébène
Et je suis un révolté
Communiste
Et l’argent des Occidentaux me fera taire
Il m’enterrera
Moi et les miens après nous avoir exploités
Nous sommes parqués derrière des barbelés
Nous les brigades du futur
Les Internationaux contre l’impérialisme
« Workers »
Travailleurs des mines et du sol
Défricheurs de nos malheurs
Je suis le dominant
Le capital est mon absolu
Je ne confesse pas mes crimes
Je les élève au-dessus des peuples que j’opprime
Les familles seront détruites
Les enfants tueront les enfants
Leurs pères et leurs mères
Puis ils iront soumettre les tribus de l’autre monde
Au coin de la rue ou dans des forêts profondes
Aucune structure ancestrale ne devra survivre
J’imposerai la mienne à la terre entière
Mes lèvres seront pleines du sang des menstrues de la mère planète
Et du sperme de ses enfants
Nul supplice ne me fera résister à la joie de ta souffrance
Car je suis le viol la souffrance le meurtre et l’avidité
Le pillage et la mort
Le sexe de la chair et rien d’autre
L’amour ne me concerne pas
C’est une fausse noblesse
Une erreur pour les faibles
Une croyance pour les imbéciles
Il n’y a que mon ministère
Le mal
Je suis le diable
La terreur des temps
Les visages télévisés s’altèrent à force de mentir
De net à flou les regards des hommes-monstres fuient
Les chiens policiers couvrent la violence de leurs maîtres
Dans ces écrans de fortune où s’épanche la propagande
La catharsis dégueule le monde réel
Le châtiment est des deux côtés de la scène et du miroir
Dans les coulisses et à l’orchestre jusqu’au parvis du théâtre
Je veux que tu désires cette femme pâmée de bijoux
Elle se vêt du soleil des riches
Elle se prostituera parce que je le veux
Le butin de mes méfaits la fera ployer
À genoux devant tes hanches
Puisant dans ta conscience
Tu oublieras l’humanité
Tu jouiras de sa vie et la couvriras de colifichets
Des dorés des étincelants des brillances partout
Sur ses poignets autour de son cou
De ses chevilles
Pour avilir et t’oublier
Et toutes ces nations qui viennent en conquérantes
Leurs civilisations basées sur le tribut
Sur des drapeaux ventrus
Nationalistes
Qu’ont-elles à faire de ce jeune homme
Il continue la lutte
Lui !
Seul
Tous sont partis après
La mine n’a rien donné
La ville spectrale
Il reste et son geste de ne plus rien faire est la sublime présence
À lui seul ce bout d’homme en haillon est le plus fort
Plus fort que vos machines de guerre et de paix
Pagaye dans les eaux saignantes
Femme des torrents impétueux
Va au rythme de l’onde sulfureuse
Les dangers à chaque coup de rame
Sors ta tête noire du ciel livide qui te pourchasse
L’identité n’est pas un papier blanc
Elle ne l’a jamais été
C’est le grand pas de la femme aimante et libre
Qui va vers son destin et celui des fils et des filles
Qu’elle enfantera
Pour la révolution
Le rond de terre où s’échauffent les rituels
Le drame du fond des âmes
Magie noire et jaune
Des hordes d’esclaves tête en bas
Corps morts suppliciés
Les traces vers le centre du sacrifice
Celles de sandales vides
Une tête énuclée
Des crânes de poupées
Des ficelles pour retenir les esprits
Des pierres votives pour les subjuguer
Sacrificielles
Tête cornue sur un pic encore une tête
Un bandeau sur ses yeux pour ne pas voir toute cette horreur
L’injustice au fond de trous fermés aux quatre coins
Toute la torture lunaire dans le blanchiment des os
Les millénaires ont gardé ce fond de justice larvée
La civilisation des Vandales du nord n’y suffira pas
Nos magiciens conservent leurs mystères
Nos magiciennes en transmettent les sens
La colombe apparaît comme une fleur au bout du fusil
Le fusil encore lui ce démon qui n’attend qu’une pression de l’index
Pour déchirer et décimer des familles entières
Une petite pression de rien pour charcuter l’espèce humaine
Et le sonnant et trébuchant fourbit l’arsenal de la destruction
Les abondements aux pays appauvris par leurs rois militaires
Les organisations au chevet de leurs malades entretenus dans leur misère
Mal soignés mal vaccinés empoisonnés vidés de leurs substances
Rats humains de laboratoires
En-mensongés par NOUS
Les Occidentaux
Auxquels aucune confiance n’est accordée
Quand je vois ces corps sublimes
Ces éprouvettes de leur propre servitude
Leur déchéance programmée
Autour des œuvres au sol la transe continue
L’Air est empli de la terre aux cris d’argile
Le Feu c’est l’homme blanc
L’argentier
C’est lui qui nous guide dans le ventre de l’humanité en révolte
La Terre ce sont les artistes qui créent et façonnent
L’Eau c’est la Dame des Rivières
Dominique est la source et le lien d’En-haut vers ce qui est en-bas
Et je suis en perdition et en retrouvailles à la fois
Entre ces contraires qui viennent se mêler et discourir
Que deviennent ces œuvres
Quel est leur rôle
Sont-elles de simples trophées pour un collectionneur
Des artifices spéculatifs sur une courbe ascendante
Des propos déroutés par des géographies éloignées de leur centre névralgique
Des objets prétendant à la bourse et à la cote de l’art
Il y a de tout ça mais les messages et les ondes persistent
Le diable est enchaîné à son créateur
Ils dansent ensemble le plus macabre des rites
L’un tente l’autre résiste
La gloire et la renommée ou la mort dans le néant
Les œuvres dans les musées ou dans les replis oubliés de l’atelier
La sincérité de l’homme ou de la femme aux mains pures
Ou le pacte faustien pour l’immortalité
Que vois-je encore
Je ne sais pas me taire
Toujours ce rapport avec la terre
Avec l’homme excavateur de richesses
De pierres précieuses
De tableaux rares
Rodolphe économiste activiste auteur
La scène africaine moins affadie que beaucoup d’autres
Il dit et écrit
Pourquoi et que voit-il
Des géographies et des distances des politiques différentes
Ici l’art pensionné obéissant domestiqué
Des messages lisses pour ne pas froisser la main qui salarie
Le lion en cage est moins servile
C’est ce que je dis
Que répondre quand on trace un pentacle au sol
Et que des mages noirs y sacrifient des âmes
Même symboliquement
Même avec des poupées de magasins pour fillettes
Alors qu’aux cœurs des pays chauds c’est le vrai sang des vraies âmes
Qui façonne la main spirituelle
L’art médium
L’art africain ici présent est politisé
Il dénonce notre monde policé
Cherche-t-il à fliquer à son tour
C’est une question à poser aux artistes
Toujours ce besoin de reconnaissance
Cette sacro-sainte héroïcité
Que faire pour y parvenir
Quelle trahison opérer
À quelle corruption se rendre
À quelle compromission se donner
Tout l’art français de ces soixante-dix dernières années est condamné à devoir y répondre
Il ne le fera pas en public
Mais là où il excelle en postures et en fausses-barbes
Les femmes au signe de croix
Quelque chose au-dessus les protègent
J’entends les porte-voix des sans-voix
Où sont ces artistes blancs noirs africains du sud ou du nord
De Dakar à Djibouti
Ils crient des malheurs inoubliables
Qu’elles et ils ont emportés sur les routes
Comme ces poétesses et poètes palestiniens dans des musées à paroles
Elles et ils font face au silence et à l’incompréhension
Et nous regardeurs béats
Nous n’avons ni haine ni mépris pour le tortionnaire
Accepté et toléré
Accueilli dans nos foyers nous revotons pour lui
Nous sommes nos propres tortionnaires
Et le bourreau suprême le sait
Il s’est arrangé pour nous faire croire de lui ce qu’il n’est pas
Un sauveur
Cette figure difforme aux piques acérées
C’est la pire chose que j’ai jamais vue
Ou presque
Les violences de la guerre rompent mes liens affectifs
Ils tordent la félicité que j’attends de la vie terrestre
C’est une sorte d’oiseau apocalyptique
À peine éclairé
Deux pattes malingres supportent un corps débile
Des empreintes de mains tachent son ramage
L’homme l’a transformé en oracle hermétique
Le public saura-t-il que l’âme de ce vilain corbeau est noire
Profondément noire
Profonde et démente
Toute la salle est dans un émoi furieux
Des cris me transpercent de partout
Ma conscience est mise à rude épreuve
Il faut que je me souvienne de mes défenses
Le trône de fer est un amas de lances missiles rouillés
Chaque douille a servi
Je ne compte pas les assassiné.es dont elles ont fauché la vie
Nous pouvons discuter et sourire
Je prends même des photos
Des spectres jaillissent de toutes parts
J’en suis conscient mais je me contiens
Difficilement
Pourquoi le feu la terre et l’eau sont-ils si calmes
Mais le sont-ils vraiment
Quand le tonnerre gronde dans ma poitrine
Les femmes au signe de croix sont les plus sereines d’entre nous
Quelque chose au-dessus d’elles les protège
J’entends les porte-voix des sans-voix
Où sont les artistes ai-je souvent lu dans des commentaires
Sur tous les sujets graves de cette dernière décennie
Ceux-ci portent des gants de boxe
Des tournesols sur les genoux
Un portique aux piliers faits de sacs d’entraînement
Des têtes tranchées pendues au plafond
Une jolie tenture florale en fond
Le combat est plié
Le combattant est abattu mentalement
Ou en attente de remonter sur le ring
On apprend ça à la boxe et dans les arts martiaux
Remonter sur le ring
Retourner au centre du dojo
Ou remonter à cheval après une chute
Maintenant
Que faire
Homme de guerre juste
Quand le partage du bien commun se joue sans toi
Que des dirigeants blancs sont assis dans la luxure
Avec des femmes de couleur
Des femmes complaisantes jambes écartées sur leurs possessions
Sur l’or des pauvres de son labeur et de sa plus-value
Que des blondes bottées mènent en coulisses
Le sort du monde
La femme en blanc est dans la mine de terres rares
Sa blancheur tranche sur un fond noir et brillant
Les paumes ouvertes vers le ciel
Quelle justice mon frère
Sa robe de mariée est devenue un vulgaire tablier
L’immaculée est tachée de tâches quotidiennes
Elle porte un masque
Ce sont des œillères pour bestiaux
Le vingt-et-unième siècle doit absolument être celui de la femme
Et je la vois cette autre femme avec ses bigoudis
Le fusil mitrailleur entre les coudes
Le visage crispé sur ses tirs en rafale
Elle est entourée de toutes les atrocités dont les mâles sont capables
Elle se défend ou attaque
Le chaos et ses vanités
Des détritus pour tout confort
Alcool essence fûts de matières dangereuses
Produits hautement toxiques
Les corps masculins vêtus de cartouches en bandoulière
Cette femme-furie qui ne cesse de tirer
Quels drapeaux permettent cela
Derrière quelles lunettes de soleil la nature se reflète-t-elle
Quelle horreur préside à ces destins en colère
Qu’a vécu cet homme arc bouté sur les tirs de son arme
Il hurle je l’entends
Quand la guerre a-t-elle fait de lui un animal sauvage
Une bête
Quel or est-il passé entre ses mains pour qu’il puisse s’offrir de tels joujoux
Quelle fraternité a-t-elle failli
Je suis en communication avec ces artistes
Ils payent le prix de leur liberté bafouée dans la rage
Ils n’ont plus cet espace insouciant de l’enfance
Mais ont-ils été un seul instant des enfants
C’est le rôle de l’artiste engagé de revêtir le manteau de la colère
C’est son rôle de refuser les faux messages pacificateurs
Il ne peut que réagir et se charger des plaies de la nature humaine
Il est le médium de notre barbarie
Comme l’auteur se déchaîne sur les chaînes
Et déchire dans les cris de son écriture la poésie du vide
Quel immense courage faut-il pour créer dans ces conditions
Pour révéler l’abîme du monde qui creuse des fosses communes où s’enlise l’espoir
Regarde de tes yeux grands ouverts ce que nos frères d’art racontent de l’infortune
La vérité crue de la modernité
Le progrès sacrificiel où meurent des innocents pour la fortune des puissants
L’ennemi du peuple est comptable de la valeur de l’assassinat de masse
De l’extermination de la paix
Et je ne serai jamais le compagnon de l’assassin et de son commanditaire
C’est le message de ces artistes qui défient l’Occident
Ils lui montrent son œuvre
C’est la nôtre
C’est notre silence
Notre damnation à la folie éternelle
Derrière les vitres sécurisées d’expositions thématiques
Où la violence de la chair est omniprésente
Parce que nous sommes mortels
Et que l’apocalypse est à nos portes dans l’indifférence quasi générale
Voici ce qu’ils disent :
Retirer vos bandeaux
Faites face aux forces obscures
N’ayez pas plus peur d’elles qu’elles n’ont peur de vous
* * *
Plongée dans la psyché du mal
« NOIR MATTERS » est une plongée dans la psyché du mal et les artistes africains en sont les rédempteurs précieux et fragiles. Leurs œuvres portent les stigmates des luttes qui nous attendent ; elles nous demandent de ressentir la violence de leurs souffrances parce que nous sommes coupables, hautement coupables.
Je n’en dirai pas plus.
Allez voir cette exposition si d’aventure elle se reproduit mais n’y allez pas seul ou seule. Emportez votre gri-gri, prenez la main d’un guide aguerri et sage, faites-lui confiance, écarquillez tous vos sens.
La paix temporelle en dépend
Celle de l’éternité vaincra tout
Soyez forts !
* *
Avec les œuvres de :
Igshaan Adams (Afrique du Sud)
Michael Armitage (Kenya)
Jess Atieno (Kenya)
Atsoupé (Togo)
Omar Ba (Sénégal)
Patrick Bongoy (Répulique Démocratique du Congo)
Frédéric Bruly Bouabré (Côte d’Ivoire)
Kudzanai Chiurai (Zimbabwe)
Novissimo Edgard (Brésil)
Kendell Geers (Afrique du Sud)
Rashid Johnson (États-Unis)
Brownwyn Katz (Afrique du Sud)
Mabunda Goncalo (Mozambique)
Wallen Mapondera (Zimbabwe)
Gustineau Massamba (République du Congo)
Tshepiso Mazibuko (Afrique du Sud)
Mohau Modisakeng (Afrique du Sud)
Muholi Zanele (Afrique du Sud)
Godwin « Cham » Namuyimba (Ouganda)
Mashudu Nevhutalu (Afrique du Sud)
Gareth Nyandoro (Zimbabwe)
Gérard Quenum (Bénin)
Umar Rashid (États-Unis)
Amadou Sanogo.(Mali)
Lindokuhle Sobekwa (Afrique du Sud)
Moffat Tadakiwa (Zimbabwe)
Guy Tillim (Afrique du Sud)
ThatoToeba (Lesotho)
Katherine de Villiers (Afrique du Sud)
Ouattara Watts (Côte d’Ivoire)
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Merci à Dominique Vernin et à Rodolphe Blavy pour la visite de NOIR MATTERS

Rodolphe BLAVY et Dominique VERNIN devant « Fish », une œuvre de Ouattara Watts – Saint-Epain – Château de Montgoger 2025
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