Les BARBARES arrivent ce soir

En écoutant Laurie ANDERSON lire, dire, parler ou chanter un poème de Constantin CAVAFY (1863-1933), poète grec d’Alexandrie, dans une version anglaise intitulée Waiting for the Barbarians (En attendant les barbares), j’ai eu envie d’en comprendre le sens.

En quelques traits, empruntés à l’histoire de Rome, le Sénat, qui s’attend à une invasion des Wisigoths, s’apprête à les accueillir en faisant montre de sa munificence.

Par souci d’authenticité et de comparaison, je vous invite à voir les paroles du texte anglais qu’interprète Laurie.

Je vous fais également part de la traduction française réalisée à partir du grec par Marguerite YOURCENAR et Constantin DIMARAS, philologue, qui avait fait découvrir les écrits du poète à l’écrivaine :

Vous remarquerez très vite que l’approche poétique de Marguerite est sensiblement différente de la mienne.

Ensuite, pourquoi, me demanderez-vous après la lecture de la version que je vous propose, pourquoi ai-je modifié la chute du poème de Cavafy ? 

D’abord, à défaut d’avoir l’original — mes souvenirs du grec datent du collège — j’ai néanmoins trouvé que le récit poétique était des plus contemporains. Nous assistons en effet à peu près à la même corruption des élites sous nos climats d’Europe de l’Ouest.

En France, par exemple et à l’heure où le gouvernement Barnier nous livre un bilan catastrophique de nos finances, il m’a semblé opportun de rapprocher de nous les barbares du poème.

Notre actualité réalise et décrit le sac de Paris, comme celui d’Alaric à Rome, par des entités ou personnalités diverses et variées très probablement responsables du pillage en règle de notre économie. Exactement comme pour les sénateurs du poème dans « En attendant les barbares », la concussion et la corruption dirigent la politique française, peu ou prou à tous les niveaux, avec la complicité des médias, soumis à l’argent, soumis au pouvoir, et/ou l’inverse.

Je ne vous fais pas la liste des pillards, ni des profiteuses, la parité étant de mise en ces pratiques de détournement de fonds publics. Une certaine Marine, prise la main dans le pot de confiture, en est l’une des trop nombreuses illustrations. 

Pour d’autres cas coupables de telles licences, de la Seine au Rhin jusqu’au Jourdain, suivez la piste européenne en passant par Bruxelles, Kiev, Jérusalem et Washington. De belles démocraties, tellement soucieuses de l’humanité que celle-ci est exterminée en plusieurs endroits du globe sans qu’elles lèvent le petit doigt pour empêcher les massacres en cours, bien au contraire.

Comptez les morts, plus il y en a et plus les affaires font les opportun.es.

Les politiciens et les politiciennes (au féminin ça fait un peu polichinelle ou petite chienne) sont le pire fléau de l’humanité.

Bref, je ne vous ferai pas attendre à mon tour plus longtemps, voici donc une interprétation libre d’EN ATTENDANT LES BARBARES d’après Constantin Cavafy.

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Les barbares arrivent ce soir

Place de la Concorde
Un grondement murmurant
Ils sont debout, à attendre
Des hordes de barbares

Le Parlement est muet
Les députés ont cessé de légiférer
Ils n’auront plus à le faire

À cause des barbares, qui arrivent

Dès qu’ils seront en place
Leurs lois prévaudront

Le président est aux aurores
Il siège à l’entrée de la ville
Les faisceaux de l’Etat à la main

Il ressemble à un roi
Qui attend l’empereur
Il fera allégeance

Aux barbares, qui arrivent

Le Président attend leur chef
Il a des présents pour lui
Une liste et des coupables
Des titres de noblesse
La clé de la Cité
Et celles du pays

Voici nos sénateurs et grands prêtres laïques
Vêtus de pourpre, de broderies
Et de pierres précieuses

Du haut de cannes élégantes
Aux pommeaux incrustés d’or et d’hypocrisie
Ils attendent

Ils sont venus accueillir
Les barbares
Ces barbares, qui arrivent

Une fois de plus nos meilleurs orateurs
Se fourvoient
Ils peuvent toujours parler
Causer
Ou se taire à jamais

Public et barbares s’ennuient
De leurs discours et de leur rhétorique

Les barbares sont arrivés ce soir

Intense confusion
La gravité sur les visages
Les rues et les places sont désertées
Les bancs de l’Assemblée abandonnés
Cette nuit vide
Chacun retourne à ses envies

Sur la ligne du front nos hommes l’avaient dit
Nous ne pourrons les contenir

Que va-t-il se passer maintenant
Les barbares sont là

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Illustration  : The Favourites of the Emperor Honorius by John William Waterhouse (1883 )

« At that time they say that the Emperor Honorius in Ravenna received the message from one of the eunuchs, evidently a keeper of the poultry, that Rome had perished. And he cried out and said, ‘And yet it has just eaten from my hands!’ For he had a very large cock, Rome by name; and the eunuch comprehending his words said that it was the city of Rome which had perished at the hands of Alaric, and the emperor with a sigh of relief answered quickly: ‘But I, my good fellow, thought that my fowl Rome had perished.’ So great, they say, was the folly with which this emperor was possessed. »

Procopius, The Vandalic War (III.2.25-26)

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