18 avril 2020
Le poète évadé
A lire en écoutant la musique de Blade Runner
Il s’est éteint à l’instant de l’étreinte Allongé sur les marches teintes Des pétales de la vie Arrêtée sur l’étendue La terre a versé Avant que ne lui échappe Le sens du mot perdu Dans le cœur du péché La nef s’est écrasée En silence Elle avait la forme d’un oiseau Elle gite tel un vaisseau triste Au milieu de congénères Croulant sous leurs voilures Alignés au bout de la piste Penchés comme des roseaux Leur acier en panne d’azur Par chance Le ciel rayonne Il avait oublié la gloire La prairie époumone Son poitrail de femme superbe Que caresse le vent dans l’herbe L’air résonne à l’écho d’une plainte nue Ecorchée de vertu Dans le feu de l’errance Des couloirs et des ascenseurs D’un côté les élus De l’autre les autres Plus pauvres que l’apôtre Leur fiche d’identité en main Défiant la dignité À la face des censeurs La pluie a fondu Le lit de mon fleuve S’écoule dans son sablier Une femme brasse les flots mouillés Ivres de ses tendresses Et baise un sol envieux Aux quatre coins des banlieues Le long du champ aux tombes Des minotaures jaloux lancent des cailloux Entre le cygne noir et la blanche colombe Ils tournent en rond en cercle Et dans la stratosphère Ils ont vu la ruine des familles L’incendie fraternel Et l’espoir impossible Des retrouvailles charnelles Des allées insignes Aux mails de nos mémoires Où nous ont parlé nos pères Des prairies de soleils Où s’endormaient des enfants amoureux Lui sur elle sous lui, et ils recommençaient Chaque nuit, à l’envers, autrement Les masques du jour et ceux du mensonge Honnis par l’amour et l’amant Bois le sang rongeur Balancé au bout d’une corde J’entends le bruit numérique Les sabots virulents de la horde Des sauveurs ! Il leur faut des sauveurs À grands cris Grandiloquents de fureur À l’ère de l’heure nue Les chiens du prince sont à la fête Ils dévorent des sacs mortuaires Des festins graves inondent les foyers Des blouses cravatées pillent les marchés Il n’est plus de miroirs Il est temps de faire briller l’humanité Et de boire sa propre pisse Jusqu’à la lie du dernier suaire Il n’y a plus de trous pour enterrer Implore l’épouse infortunée Son enfant est allongé Mari, père, prière Ils sont tous là à errer Dans cinquante centimètres carrés Entre le sacre et le fils Moi je vais mourir Je n’ai rien souhaité Moins encore obtenu Pris voulu arraché tenu Comme le souffle court du condamné à vie Enfle jusqu’à la mire Le sexe en état de bonheur Le voici face à l’âge adulte À sa fenêtre de tir L’art Il n’est pas de néant plus accompli Au sein de la sagesse Par-dessus les plaines de mon enfance Aux moissons de juillet les baisers de ta bouche Je vois encore ce garçonnet Plein de taches de rousseur Je l’entends rire et courir Dans chacune de mes larmes Parmi les moissonneurs Elles portent l’une ou l’autre les rives d’antan L’opéra dans les yeux de ma mère Et le piano au son de sa voix Le poète a vu Aurore aux doigts de rose L’Apocalypse est attendue Un disciple l’a dit Le Prophète en jugera Au milieu des crachats De ces trois-là, qu’il ose le premier Ses frères l’ont trahi le torturent sans cesse Il renaîtra de leur impiété Il est l’unique croyant en voie d’apparition Sans trompette ni estafette Juste un siège de pierre où s’assoient ses fesses Là, ses doigts d’or et son esprit de chair Ecrivent et gravent au centuple Des vers d’exception Pour relever de l’infamie Le pain de l’amitié et de l’inimitié
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