DAREEN TATOUR par SALMA MUSTAFA

SALMA MUSTAFA, Cisjordanie, le 28 février 2022

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Dareen TATOUR arrêtée pour avoir écrit un poème.

Pendant que la poètesse Dareen Tatour était emprisonnée, son poème circulait librement.

Enchaînée et menottée, Dareen Tatour a été incarcérée après trois ans d’une procédure à l’issue incertaine. Pour quel chef d’accusation ? L’écriture d’un poème.

Dareen Tatour est née dans le village d’Al-Reineh en territoire occupé. Etudiante en sciences informatiques et des médias, elle suit également un cursus de réalisatrice. Ses objectifs académiques ne l’ont pas empêchée de poursuivre son rêve d’écrire des poèmes et des romans en arabe, sa langue.

Le 11 octobre 2015, les autorités israéliennes ont arrêté Dareen Tatour au domicile de ses parents après la publication d’un poème au titre évocateur : « Résiste, mon peuple, résiste-leur ! ». Posté sur Facebook, le poème venait en narration d’une vidéo témoignant de violentes confrontations entre les Palestiniens et les forces armées israéliennes.

Darren fut inculpée pour incitation à la violence et pour son soutien à une organisation terroriste. L’acte d’accusation comportait plusieurs volets, ou chefs d’accusation. Le premier volet mettait l’accent sur les paroles du poème, censées encourager la violence à l’encontre des institutions de l’État d’Israël. Le second accusait l’auteure d’avoir lancé un appel au jihad islamique, pour l’intifada en Cisjordanie, ainsi qu’à la défense de la mosquée Al-Aqsa à l’intérieur de la ligne verte. Les autres chefs d’accusation mettaient l’accent sur certaines images de la vidéo, notamment celle d’Israa Abed, photographe à Nazareth, abattue par les soldats israéliens et dont le corps gisait à même le sol de la station de bus d’Afula. Une autre image montrait une photo de profil de Dareen Tatour ainsi légendée : “Ana El-Shaheed Al-Jay” (Je suis la prochaine martyre).

Après son arrestation en 2015, Dareen fut assignée à résidence pendant trois ans. Pour les besoins de son procès, elle fut l’objet de plusieurs interrogatoires et ses déplacements furent rigoureusement restreints. Elle a partagé son expérience dans une interview :

« Le 8 août 2018, à dix heures du matin, vêtue de blanc, j’ai été emprisonnée à la suite du verdict de la cour israélienne, qui me condamnait pour incitation à la violence pour avoir soutenu une organisation terroriste, et pour être moi-même une terroriste. J’ai pour cela été condamnée à une peine d’emprisonnement de cinq mois.

J’ai dit au revoir à ma famille, à mes amis, et sous un ciel bleu et lumineux j’ai eu un dernier regard pour la liberté. Alors un officier, accompagné d’une gardienne de prison, s’est approché de moi. Ils m’ont fait franchir une porte en fer et m’ont laissée de l’autre côté pendant de longues heures. C’était le premier épisode de ces longs mois comme prisonnière politique dans une prison israélienne.

Ma geôlière m’accompagna jusqu’à une minuscule pièce sans fenêtre, sans aucune lumière, sans rien d’autre que cette porte de fer. J’ai dû attendre une heure avant qu’elle ne revienne et que ne commencent les procédures d’intégration d’une prisonnière dont la seule faute fut d’écrire un poème. Cette gardienne m’ordonna de me débarrasser de mes vêtements, de tous mes vêtements, arguant que l’administration pénitentiaire israélienne obligeait la nudité pendant l’inspection. Cette inspection fut l’épisode de ma vie le plus éprouvant auquel j’ai dû faire face. Et c’est une femme, comme je le suis moi-même, une femme qui peut comprendre la signification de ce que je considère comme un viol, qui m’a perpétré cette humiliation.

Après avoir accompli son devoir, ma geôlière m’a emmenée au bureau des admissions et un numéro me fut alloué. Ensuite, elle m’a passé des chaînes aux pieds et des menottes aux poignets. J’étais sidérée, aussi lui ai-je demandé pour quelle raison devais-je subir autant de restrictions. “Parce que tu es une menace pour la sécurité d’Israël, un danger pour l’État et pour nous tous. Ces deux mesures de restriction de tes mouvements sont les ordres. » Je suis partie dans un long rire qui m’a donné un sentiment de victoire, de gloire. En lui souriant, de mon sourire de prisonnière, j’ai vu les traits de son visage changer. J’ai alors compris que ce simple sourire venait de me purifier de son humiliation et de ce qu’elle en avait éprouvé comme satisfaction. Son extase prenait fin.

Les mots et les rires les terrifient.

Ensuite, il a été procédé à l’inventaire de mon sac, dans lequel j’avais rassemblé tous les objets permis en prison selon une liste établie par l’administration pénitentiaire. Pourtant, toutes mes affaires ont été renvoyées à ma famille sous le prétexte que la loi m’interdisait ces articles. Evidemment, je n’ai donc pas pu disposer de mes propres vêtements.

Après une première nuit au centre de détention de Jalameh (Kishon), j’ai été transférée à la prison Damon à Daliyat al-Carmel dans le district d’Haïfa. Datant du mandat britannique, la capacité de cette prison est d’environ cinq cents détenus.

Il est important de mentionner qu’en 2002, plusieurs associations de droits humains et des avocats ont dénoncé des conditions de détention si déplorables qu’elles seraient indignes pour des animaux. Et donc à plus forte raison pour des êtres humains. Toujours est-il que jusqu’à aujourd’hui encore la situation n’a pas changé. La prison Damon sert à la détention des prisonniers palestiniens de Cisjordanie et de Gaza qui ont été arrêtés parce qu’ils travaillaient en Israël sans permis, et les prisonniers politiques, détenus dans la section 61.

J’ai été emprisonnée à cause d’un poème, mais quand je suis sortie de prison, en plus d’un livre décrivant les détails de ma détention, j’avais aussi écrit cent et un autres poèmes.

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J’ai trouvé dans cette expérience de la prison la motivation pour écrire, mais j’y ai également appris la peinture, le dessin, et j’ai ainsi pu exprimer mes sentiments.

Pendant mon assignation à résidence, j’avais transformé ma chambre en studio photographique. J’avais un projet spécifique concernant cette expérience. Ainsi cette période libéra chez moi une forte énergie créative. Cela confirmait l’opinion que rien ne peut empêcher un poète de relater ses sentiments, même si son corps est enfermé, parce que ses idées restent libres à jamais.

Le plus drôle dans mon cas fut que les autorités israéliennes n’auront eu de cesse de proclamer que mon poème menaçait la sécurité de l’État. Pour autant, le poème resta tout ce temps pleinement visible sur Facebook et YouTube. C’est véritablement ironique de penser qu’un poète peut être arrêté et jeté en prison tandis que ses écrits restent accessibles en dépit des plaintes de ceux qui ont arrêté son auteur pour le motif que l’un de ses poèmes incite à la violence et au terrorisme. »

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L’expérience de Dareen Tatour est unique. C’est celle d’une femme recluse dans une prison israélienne à cause d’un poème. Pour beaucoup d’autres femmes, la prison les aura rendues plus fortes et leur aura ouvert les yeux sur l’importance de leurs actions et de leurs messages pour qu’elles continuent de s’engager personnellement contre l’occupation, aussi bien dans les territoires occupés qu’en Cisjordanie, dans la diaspora ou dans la bande de Gaza.

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https://wearenotnumbers.org/

https://arablit.org/2016/04/27/the-poem-for-which-dareen-tatours-under-house-arrest-resist-my-people-resist-them/

https://www.icorn.org/writer/dareen-tatour

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Photographie : Dareen TATOUR par elle-même.

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