CONSTITUTION par EUGENIE MERIEAU

Sur un tel sujet, par où commencer amies lectrices, amis lecteurs, pour convoquer votre curiosité ? J’en conviens, je n’ai pas cette fois-ci choisi la simplicité. Mais l’auteure et son propos sont dans une mouvance intellectuelle et littéraire que je tente de suivre en observateur lointain, avec toutefois une certaine admiration.

Je commencerai par une question, avec votre permission, mais je vous rassure ce n’est pas par manque d’inspiration mais plutôt par un souci de sincérité.

Soyons francs, que sais-je, que savons-nous de notre Constitution ?

Partant d’un simple texte comportant un certain nombre d’articles régissant notre régime parlementaire, ou présidentiel, on ne sait plus trop, notre République ou notre démocratie, quand ces deux termes ne s’opposent pas, nous sommes en droit de nous poser la question de savoir comment en sommes-nous arrivé.es à devoir obéir à quelques lignes au jargon plus ou moins bien tourné, en tous les cas assez malignement pour que les princes, les rois ou les présidents s’en saisissent et en fasse leur principale maîtresse ?

Comment, oui comment ce tour de force entre quelques auteurs autour d’une table en est arrivé à présider nos destinées, pour le meilleur et pour le pire ?

Face aux tentations autoritaires

Pour tenter d’être plus précis, orientons-nous sur la manière dont la Constitution française fut utilisée par ses concepteurs, soit les premiers garants d’une nouvelle forme d’état, ou comment aujourd’hui le Président de République, incarné en la personne d’Emmanuel Macron, la manie.

À la lumière du passé, je pose une autre question, que tout le monde comprendra : la Constitution est-elle entre de bonnes mains ?

À partir d’ici, nous sommes au seuil du thème développé dans CONSTITUTION, le livre d’Eugénie MÉRIEAU sorti au premier semestre 2025 aux éditions ANAMOSA.

L’auteure est constitutionaliste, maître de conférences en droit public et chercheuse en sciences juridiques et philosophiques à la Sorbonne et à Sciences Po. Soit une parole dont l’audience s’affiche au plus haut niveau, donc le propos de son essai, qui reprend certains de ses cours ou de ses interventions à l’étranger, est savamment instruit. Il serait inaltérable si la Constitution elle-même l’était, mais tout l’exercice du livre montre qu’elle ne l’est pas, loin s’en faut.

George Orwell « On ne capitule pas devant les mots »

Pour dire un mot du bouquin, l’ouvrage appartient à une collection originale au nom tout trouvé : Le Mot est Faible. Chaque titre de cette collection tient en mot. Je vous en donne quelques-uns en passant : Décolonial, Démocratie, Émeute, mais aussi Nature, Paysan ou bien encore Utopie.

Le livre en soi, qui comporte une centaine de pages au texte composé en colonnes  resserrées, à la façon d’un article de journal, mérite un compliment. Son format étiré dans les verticales tient dans la poche arrière du jean, la couverture à rabat est souple et le texte intérieur est de bonne proportion. Ajoutez par-dessus une couverture au design en lettres blanches sur fond noir, l’objet est d’une élégance sobre et efficace.

Ceci dit, j’ai rencontré le livre et son auteure le 7 mai 2025 à la Flèche d’Or, au 107 rue de Bagnolet à Paris 20ème, soit à 189 mètres très exactement à vol d’oiseau du Mur des Fédérés où sont tombés une centaine et un peu plus de Communards sous les balles versaillaises en 1871.

Le rapport ? Plusieurs, a priori, et il était aussi plus court pour moi d’où je venais de traverser le cimetière du Père Lachaise afin de me rendre à la table ronde organisée par  Révolution Permanente autour du thème :

Quand soutenir la Palestine devient un crime

Je vous conseille, après la lecture de cette chronique, de suivre ce lien et d’écouter les différents intervenants de cette soirée, dont Eugénie Mérieau parmi des personnalités des mondes philosophique, sociologique, juridique, politique et syndicaliste. Une soirée radicalement différente de celles des bars alentours qui diffusaient le match Arsenal vs Paris-Saint-Germain, autrement dit qui agitaient sur grand écran les capitaux sportifs des Émirats et du Qatar.

Assez digressé, rentrons dans le vif du sujet, qui est aussi celui de la compréhension de notre présent et du périmètre de nos chaînes, pour reprendre une expression de l’auteure, qui nous guide dans un voyage comparatif entre différentes constitutions et leurs actes de naissance.

Avec elle et grâce à une écriture très proche de l’oralité, tout commence avec Homère qui enchaîne Ulysse pour ne pas céder aux sirènes. Le ton est lancé. Ensuite, après une croustillante histoire de viol conjugal entre De Gaulle et la Constitution, nous visitons les rédactions de nos premières constitutions, issues de l’époque révolutionnaire du XVII° siècle et influencées des précédents anglais et états-uniens, mais surtout des travaux de Kant et de Hegel. Un chapitre haletant est consacré à l’auteur de la Philosophie du Droit.

Parcourons quelques décennies mouvementées, écoutons Montesquieu, Tocqueville, et participons aux révolutions successives que la France a connu. De nouvelles rédactions, toutes plus urgentes les unes que les autres, sont écrites et proclamées, puis, attention, c’est là où ça se complique, interprétées ou tout bonnement volontairement ignorées. L’exemple de Louis-Napoléon Bonaparte qui rétablira l’empire par plébiscite devrait nous alerter.

Eugénie Mérieau « La première des libertés est la liberté d’expression »

Entre deux guerres, à Weimar en Allemagne, le système constitutionaliste vit un moment de grâce juridique. C’était trop beau, le nazisme rebat les cartes dans un ordre très différent, à sa botte. La raison reprend la main en 49, trois ans après notre Constitution « parlementaire » de 46 qui balaye les aspirations du Maréchal Pétain. La Révolution Nationale n’aura pas lieu.  Un peu d’eau coule sous les ponts et l’Algérie montre des signes d’indépendance, tant du côté des Algériens eux-mêmes que bientôt de celui des Généraux.

Qu’à cela ne tienne, le plus grand d’entre eux, Charles de Gaulle, assisté de Michel Debré, vont profiter des événements politiques et rédiger la Constitution de 1958. La V° République est lancé au nom de la sauvegarde de la Nation, c’est l’état d’urgence. Une aubaine pour le souverainisme, dirais-je, le pouvoir en pantoufle. Bref, le texte devient le socle d’un pouvoir que nous n’avons pas l’habitude de qualifier de militaire, mais son commandeur était chef de guerre.

Dissuasion oblige, pour l’instant nos différents présidents ne se frottent pas de trop près aux autres possesseurs de l’arme atomique, jusqu’à il y a peu à l’aune des évènements en Ukraine.

« Est souverain celui qui décide de l’exception »

L’URSS a vécu une pléthore de Constitution, nous les survolons un instant de Lénine à Staline mais après la Pérestroïka nous avons droit à un cours concis et efficace sur le coup d’état de Boris Eltsine. Spectateur lointain à cette époque mais ayant souvent traversé le mur de Berlin, ces évènements me passionnaient. Retour sur l’histoire récente, en quelques lignes Eugénie remet les pendules à l’heure. Le coup d’état avait pour but d’imposer en Russie une constitution, dont le modèle empruntait à celle du général de Gaulle.

Au fur et à mesure de la lecture, notre actualité parlementaire transpire. C’est assez subtil. Nous réfléchissons de fait à qui détient vraiment le pouvoir en France, en ce moment-même.

La faute à l’interprétation de la Constitution, où l’on apprend que quoi qu’il arrive le chef de l’Etat aura toujours le dernier mot. Il en est le garant. Quelle que soit la manière dont il en appliquera le texte, la Constitution en fera la nouvelle norme. De là à ce que l’actuel locataire de l’Élysée s’y installe plus longtemps que prévu, il n’y a qu’un trait d’esprit qui transpire dans ce petit livre vraiment étonnant par sa densité et son érudition.

La révolte des Gilets jaunes

Mais pendant que j’y pense, ceci n’est pas dans le livre, rappelez-vous 2018 et 2019, la révolte des Gilets jaunes. Qui n’a pas acheté son bréviaire constitutionnel et passait ses nuits debout auprès de feux de ronds-points à discuter du RIC ou de la 6° République. Non, nous sommes toutes et tous des constitutionalistes en puissance. Les Français aiment le droit, ils le lisent, le connaissent et en débattent. La rue est un large « gueuloir », Flaubert y a trouvé l’inspiration, nos révoltés des yeux en moins pour le lire.

Cependant, c’est très clair dans le livre, le droit constitutionnel n’est un outil de protection du peuple que s’il est dans une main sage. Les doctrines de Carl Schmitt et d’Hans Kelsen nous offre de beaux combats à ce sujet. En ce qui concerne les élites actuelles au pouvoir, le doute est permis. D’autres registres d’opinion pourraient aisément appuyer ce propos. D’ailleurs, la présence d’Eugénie Mérieau lors d’une table ronde organisée par Révolution Permanente est significative. Entre Frédéric Lordon, philosophe ; Anasse Kazib, porte parole de RP ; Elsa Marcel, Avocate militante ; Vanessa Codaccioni, spécialiste de la justice pénale et de la répression, et auteure de Comment les états répriment ; Rony Brauman, fondateur de Médecins sans Frontières et Paul Morao qui animait la discussion, nous assistons en France à un nouveau paradigme intellectuel qui s’étend bien sûr et également à la littérature.

La Révolution, un mot d’ailleurs déjà accessible aux éditions Anamosa, avant un jour peut-être celui de patriotisme, qui fait froid dans le dos rien que d’y penser.

Merci Eugénie Mérieau pour ces précisions d’une limpidité sans faille.

En conclusion de ce « périmètres des chaînes », voilà une centaine de pages qui se lisent passionnément, parce que c’est notre histoire.

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A écouter aussi sur Lundi Matin :

Macron peut-il constitutionnellement prendre les pleins pouvoirs?

 

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#Palestine#révolution ; littérature ; constitution ; Eugénie Mérieau