1 mars 2019
3001 L’ODYSSÉE DE LA TERRE
L’AUTOROUTE
Une ville longue de ville en ville
Une bande de macadam déshéritée
Des fermes et des villas à perte de vue
Sans portails
Sans clôture
Des cabanes et des tentes
Un trafic lent, qui circule de bras en bras
Au son des sabots
Un paysan habite là
Au milieu du paysage
Des guérites d’épiciers
Et des auberges alignées
Un objet est transmis
Il passe de main en main
Il avance
Un chargement
Il est charrié
De porte en porte
Des voyageurs vont et viennent
De chambres d’hôtes vers d’autres
Tout arrive
Le matin et le vent
La lumière et l’été
C’était bien, avant
Ça s’appelait une autoroute
Je l’ai empruntée
Enfant
Je passais sous des ponts
En voiture
Sous des passerelles vides
Aussi lisses que l’océan
Ici, là-bas et plus loin encore
Les arbres étaient les mêmes
Les champs identiques
Et le tourisme esclavagiste
Tous allaient au même endroit
Et ne savaient
Ni où ils étaient
Ni d’où ils partaient
Un satellite les guidait
Alors que le temps nous emporte
Regarde
La ligne n’est plus droite
Elle serpente
Penche et remonte
Entre des cabanons
Des palais et des entrepôts
Des gosses, comme toi
Jouent sur la route
C’est une rue patiente
Pleine de choses extraordinaires
Venues de loin, de près
Comme les gens qui passent
Jeunes et vieux
Voici le facteur
Lui et sa bicyclette
Ses roues sont réparées
Il sonne à chaque foyer
L’asphalte a rendu l’âme
À coups de pioches
À droite autant qu’à gauche
La terre à l’infinie
Ressource et joie
Des champs et des jardins
Contre toute invasion
Le progrès ralenti
La vie réinventée
La nature est restituée
Il a fallu trancher
Dans le talus
Ouvrir la barrière
Et couper sur quatre voies
Ici
Et là-bas
Entre les deux, tout s’est arrêté
Le camion, la citerne
Le convoi et l’automobile
Le péage s’est ruiné en excuses
Une femme a tendu une corde
Son linge en étendard
Son chant est monté
Jusqu’à la bande d’arrêt d’urgence
Clamant la liberté
On voit encore marcher
Au rythme du métal
Et d’un pas de géant
Des colonnes autrefois électriques
Qui ventilent leurs hélices
Et font un bruit sourd et placide
Pour nous éclairer
Au loin des forêts reviennent
Elles chantent avec la biche
L’épervier et le chat du voisin
Et suivent le cours des eaux
Où baigne l’aube des moulins
C’est l’heure du déjeuner
La tomate du jardin
Cet été fera l’affaire
En hiver le kaki s’ensoleillera
Et la vache s’endormira
Elle a donné sans compter
L’amie des plaines et des herbages
Le forgeron la prie
Le cheval l’accompagne
Ils ont cessé de croire
Qu’un dieu les dompterait
Non !
Le Ciel est avec eux
Vois
La bande noire est tailladée
Les lignes blanches ont disparu
Au profit des marelles
Il suffit du sud ou du nord
D’une étoile et de rencontres
La marche ou la course
Le jour au labeur
La nuit se tait
La route s’endort
Les foyers fument
Boivent et mangent
On crie, on rit, on danse
À l’air du temps
À l’atmosphère
Oublieux de ce qu’était l’autoroute
Une bande de macadam bruyante
Polluée, dévastatrice
Tu les entends
Tes camarades égaillent la voie
Filles et garçons
Dans une poussière d’or
Ça n’existait plus, ces joies simples
Seulement pour quelques un.es
Caché.es de peur
Sur des îles
Dans des trous
Loin, loin des êtres normaux
Des gens comme toi et moi
Sacrifiés et vendus
Et puis nous sommes intervenus
Avec notre seul courage
On a coupé l’autoroute
C’est rien, vois-tu
Récupérer ses droits
Reprendre goût à la terre
Au blé des faucheurs
Au pain du meunier
Il suffit de quelques planches
Elles repousseront
Du verre et du fer
Des autos par millions
Laissées et délaissées
Et l’ami forgeron
Et l’ami menuisier
Bling-Blang
Du travail tout au long
Un toit sur mille kilomètres
Une poignée de main qui n’en finit pas
Des femmes cheveux au vent
Des hommes en liesses
Et nos enfants jouent à apprendre
À l’école de la vie
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