Candidat au CCC OD de TOURS

 

Luc Lejour : Michel, tu postules à la direction du CCC OD (Centre de Création Contemporaine Olivier-Debré) de Tours qui sera vacante dès cet automne 2019.

Michel Pommier : Oui, je vois sur ton sourire une pointe de surprise, mais tu sais, quand une amie m’a envoyé l’offre de Profil Culture ça m’a aussi amusé. C’était tellement imprévu comme information, et puis le Centre de Création Contemporaine Olivier-Debré n’est pas une petite structure, la diriger nécessite un bagage. Disons qu’après l’étonnement, ou l’amusement, j’ai commencé à y réfléchir d’un peu plus près, ce qui m’a permis, premier point très positif, de revoir mon parcours de vie.

L. L. : Tu as, je suppose, sacrifié au traditionnel CV.

M. P. : Et à la lettre de motivation. Ça m’a renvoyé pas mal d’impressions, parce que j’ai déjà eu affaire, comme beaucoup d’entre nous, au parcours du combattant de la recherche d’emploi, à la différence qu’aujourd’hui je ne suis pas dans une telle logique. Disons que cette offre est une opportunité pour proposer une direction différente de celle qui existe actuellement, et qui s’en va dans quelques semaines.

L. L. : Peux-tu nous dire comment tu vois les choses ?

M. P. : Si je m’en tiens aux documents mis en ligne par l’Association française de développement des centres d’art, le CCC OD a une mission de soutien à la création. Alors ça passe par l’expérimentation, évidemment, c’est un laboratoire pour des artistes émergents à découvrir et à épauler, et ça c’est très motivant de pouvoir suivre l’évolution d’une œuvre et de lui apporter son concours. C’est vraiment une mission d’intérêt général, vis-à-vis des personnes qui s’engagent dans la voie de l’art contemporain comme pour le spectateur.

Vue de l’intérieur de l’extérieur

L. L. : C’est en fait un lieu de spécialisation.

M. P. : Oui, et non. Oui parce qu’on peut réduire l’art contemporain à une certaine élite intellectuelle, formée à une discipline et à une médiation ciblée ; et non, parce qu’il y a des ponts avec d’autres pratiques. Tous les artistes sortant des écoles des Beaux-Arts ne suivent pas forcément un cursus dédié ; certains bifurquent vers d’autres instruments culturels et s’emparent de disciplines très diverses, comme l’agriculture, par exemple. Nous assistons à une redéfinition du rôle de l’artiste dans la société, et ça c’est assez enthousiasmant parce que ces perspectives me donnent envie d’explorer le champ de la présentation d’œuvres et d’ouvrir sur de nouveaux horizons, avec les artistes, bien sûr, mais également avec d’autres forces de proposition. Mais je serai discret pour le moment parce que les idées sont volatiles et parce que j’ai l’impression que les schémas les plus classiques tournent autour d’une grande solution sans l’atteindre.

Au dos de l’ancienne école des Beaux-Arts il y a un parvis extraordinaire pour des spectacles extraordinaires

L. L. : Une grande solution ? Tu penses qu’il y a un problème à résoudre ?

M. P. : Oui, en quelque sorte. Nous assistons depuis quelque temps à une désaffection du public pour l’art contemporain, voire des artistes eux-mêmes. À Tours c’est très notable, il suffit d’interroger les Tourangeaux, aussi bien dans le milieu culturel que dans la rue pour se rendre compte à quel point la rupture entre notre centre d’art et son public est consommée, si tant est qu’une rencontre s’est établie.

L. L. : As-tu une idée des raisons de cette rupture ?

M. P. : Bien sûr, je crois que le modèle est dans sa phase d’obsolescence. Certes, il a apporté beaucoup, on doit également reconnaître le travail accompli par ceux qui ont réussi à amener ce magnifique outil culturel qu’est ce centre d’art jusqu’ici, mais ce modèle doit muter pour rattraper le présent et aborder le futur. Une prise de conscience est donc nécessaire, en actes.

Un bâtiment peut en cacher un autre

L. L. : Qu’est-ce que tu proposes ?

M. P. : La première chose réside en la volonté de générer une dynamique territoriale qui tarde à prendre forme. Encore une fois, il y a des attentes, il faut donc les satisfaire et non les ignorer. Mais tu vois, Luc, il y a tout de même un problème de taille. Une telle candidature est forcément surveillée de très près par un certain nombre d’instances parce que le poste représente un pouvoir culturel. Je te dis ça quand pour ma part le pouvoir ne m’intéresse guère. Je suis pour un mouvement pluriel et collectif. Je pense avoir maintenant assez d’expérience pour diriger administrativement un tel lieu et le définir dans ce que j’appellerais « un chemin de sens » avec les forces en présence, et pour commencer avec l’équipe du CCC OD, mais aussi grâce à des intervenants extérieurs capables de donner à la structure le mouvement qui lui fait défaut aujourd’hui.

L. L. : Tu voudrais donc ouvrir la programmation et ne pas être l’unique directeur artistique.

M. P. : Tu te rapproches mais ce n’est pas tout à fait ça. Les cartes blanches existent déjà, et des artistes eux-mêmes peuvent devenir curators, ce n’est pas nouveau mais c’est assez rare. Ça donne cependant de très bonnes expositions et je reproduirai ce schéma. Non, il s’agit d’autre chose. Je pense pouvoir interroger la distance qui sépare les œuvres des artistes du public et formuler une expérience inédite.

Un coin de paradis

L. L. : C’est ce que tu me disais avant cet entretien au sujet du PAC (Projet artistique et culturel).

M. P. : C’est en effet un des fondamentaux de la candidature, toutefois il m’est assez difficile de l’exposer ici, d’abord parce que je suis dans une phase d’élaboration, d’autre part parce que les idées sont très recherchées et qu’en la matière j’en ai déjà laissé pas mal s’échapper qui profitent à d’autres, tant mieux pour eux. Par ailleurs, tu sais que je soutiens depuis le début le Bateau Ivre ; les expériences auxquelles je pense peuvent ô combien s’inscrire dans son programme. La seule différence c’est que le Centre de Création Contemporaine, reconnaissons-le, est la structure la mieux adaptée en ce moment à Tours pour produire certains types d’expériences formelles, ou plastiques, qui n’ont pas encore été tentées. Ni à Tours, ni nulle part, d’ailleurs.

J’ai toujours aimé les maquettes

L. L. : Tu peux nous éclairer au sujet de ces expériences ou est-ce un secret ?

M. P. : Je m’en suis déjà ouvert avec quelques artistes qui comprennent le processus. Pour la plupart, j’ai déjà leur soutien et quelle que soit l’issue de cette candidature, c’est très motivant. Par leurs qualités de créateurs, ils sont les premiers à saisir l’opportunité d’une nouvelle pratique en matière d’exposition, et puis leur curiosité est sans limites. Si je passe l’examen ils ne pourront que s’en réjouir, et les spectateurs aussi, mais je ne te dirai pas exactement pourquoi. Je garde mes meilleurs atouts pour l’oral, si tant est que j’accède à cette étape de la sélection, parce qu’il me faudra bien abattre quelques cartes. Pour t’éclairer, je suis surtout dans une logique de permissivité. Au-delà, administrer le CCC OD ne me fait pas peur, j’ai maintenant assez d’expérience dans beaucoup de domaines pour envisager sereinement la reprise de sa direction.

Promenade estivale

L. L. : Tu parlais de territoire…

M. P. : C’est une autre donnée essentielle, et elle dépasse le cadre de l’art contemporain parce que la dimension sociétale prend en compte des paramètres aussi bien sociaux que politiques, voire écologiques. Mais tu vois, à mesure que j’y pense, c’est la neutralité qui m’intéresse dans le cadre de cette direction. Mes nombreuses militances ne peuvent réellement s’inscrire dans le pilotage du CCC OD. Je les garde pour ce que je suis, c’est-à-dire un citoyen, et il ne faut pas s’interdire de penser et de s’exprimer. C’est encore possible en France et de toutes les manières aucune personne ne peut être écartée d’une procédure de recrutement en raison de de ses opinions politiques. Je ne m’inquiète pas pour ça, ni pour mon âge d’ailleurs puisque j’ai le même qu’Ursula von der Leyen, la nouvelle présidente de la Commission européenne. Ceci dit, à l’intérieur d’un cadre institutionnel, à défaut de faire des compromissions, je ferais les concessions nécessaires afin d’ouvrir le débat artistique à toutes les tendances. Sinon, pour revenir au territoire, là encore l’ouverture est vitale pour l’avenir du Centre Debré. Si les artistes sont créateurs, ils emploient aussi des matériaux et des techniques. Si on imagine des réalisations importantes, et donc intéressantes pour l’économie locale, il n’est pas vain d’espérer qu’une nouvelle main d’œuvre voie le jour. J’ai en effet une idée pour la cité. Je pense que les décideurs locaux attendent un nouveau développement pour les années à venir. L’art est à mon sens une composante qu’il ne faut pas négliger, comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui. Pour faire taire une idée reçue, je dirais que l’utilité de l’art est certaine.

Au jardin François 1°

L. L. : Ce discours va-t-il dans le sens de l’institution actuelle ?

M. P. : Ça dépend de ce que tu entends par « institution ». Si tu en appelles à l’intérêt général, alors oui, mon « projet » va dans ce sens. Si tu penses à un réseau fonctionnarisé, alors je devrais le convaincre parce qu’il agit en circuit fermé. C’est vrai que le marché, les jeux de pouvoir et la politique sont très présents dans ce milieu, ce n’est un secret pour personne. Les artistes et les curators eux-mêmes s’emparent de plus en plus de ce sujet, dans lequel l’élitisme est critiqué. Le curseur commence à bouger, c’est le moment de pousser un peu l’air du temps vers le bon côté. Ceci étant, je reste un citoyen et un contribuable comme les autres. J’ai confiance dans les valeurs de la démocratie et c’est en ce sens que je postule au CCC OD.

L. L. : Tu dis cela parce que tu penses avoir des chances d’être retenu à la fonction de directeur ?

M. P. : C’est bien difficile à dire et à prévoir, mais j’aime assez le défi. Ce « chemin de sens » artistique est pour moi un enjeu cohérent qui dépasse la fonction. Et puis l’art porte en lui une dimension ludique, le public attend aussi des événements étonnants ou joyeux, ce n’est pas antinomique. Enfin, pour répondre plus précisément à ta question, si j’en crois les inévitables rumeurs, mes chances sont très faibles, pour ne pas dire nulles.

Monsieur Olivier Debré était un monsieur souriant. Parmi les porteurs, Yanek Chomicki, au milieu de l’image et avec sa manche droite relevée sur l’avant-bras, un bon camarade de cette époque, nous sommes en 1991. Photo perso prise pendant le visionnage d’un documentaire sur le peintre tourangeau.

L. L. : Si les jeux sont faits, quel intérêt pour toi de te présenter ?

M. P. : J’ignore si les jeux sont faits mais c’est probable. Disons que c’est une question d’égalité des chances. N’oublie pas que j’ai été, par le passé, et quasiment dès son ouverture, ouvrier au CCC de la rue Racine, avant d’être en charge de sa régie technique. J’aime bien penser qu’un ouvrier dispose des mêmes chances qu’un membre influent d’un réseau, en l’occurrence culturel. Ne pas être retenu m’importe peu ; face à un adversaire loyal la défaite est honorable. Ce sont le chemin et les rencontres qui comptent, et l’espoir du changement. Nous sommes dans un pays qui a une grande devise, l’Égalité, et c’est primordial lorsqu’il s’agit des chances de chacun. Bien sûr, il y a forcément de la concurrence, certainement venant aussi de la part de gens de talent, ça je n’en doute pas, mais certain.es candidat.es pourraient avoir une longueur d’avance sur le processus de sélection, c’est humain. Les sociétés se construisent souvent sur des réseaux, il n’y a qu’à observer en politique. Cependant, j’ai autant qu’un autre les qualités pour diriger le CCC OD. J’ai donc le droit à la même écoute que le plus influent de mes concurrents. J’irais même jusqu’à lui dire, dans un esprit de compétition sain, et Dieu sait si je n’aime pas faire la course : « Vas-y, fais-voir ton projet que les gens comparent et en discutent ».

Clin d’œil à Pier Barclay – Montage photo par Dominique SPIESSERT

L. L. : Te poserais-tu en franc-tireur ?

M. P. : Pas du tout. Je suis conscient de la charge à venir si je l’atteignais. Cependant, face aux épreuves, il faut faire preuve de confiance en soi. Quand on prend le départ d’un marathon, il faut entraîner le corps et préparer l’esprit à fournir un immense effort. Je crois qu’un modèle économique ambitieux peut être mis en place à partir du CCC OD avec des répercussions importantes pour le territoire, donc pour et avec les hommes et les femmes qui l’habitent. L’époque n’est plus aux demi-mesures, il y a des échéances importantes au niveau local comme au niveau mondial. Je veux bien qu’on dise que je suis un « outsider », surtout pas un franc-tireur, ce serait faire l’impasse sur mon sens des responsabilités. Tu vois, je pense que le débat autour de la prochaine direction du Centre doit dépasser le cadre fermé de son institution pour aborder l’avis du plus grand nombre. Mes concurrents sont libres ou non de se dévoiler, c’est leur affaire, en tous les cas j’ai décidé d’avancer à visage découvert. Si le public n’est pas en mesure de décider ni de voter pour la prochaine direction du CCC OD, puisqu’elle est du ressort d’une association légitime, il a le droit de participer au débat et se faire une opinion sur ce qui lui est proposé.

L. L. : Quel sera ton geste d’ouverture ?

M. P. : Ta question contient la réponse. J’imagine une expérience ouverte à tous les artistes de la région. Tous ceux qui voudront venir s’essayer sous les cimaises du Centre Olivier-Debré seront les bienvenus. Artistes confirmés ou non, connus ou méconnus, issus d’écoles ou autodidactes, performeurs ou « installationnistes », peintres ou graveurs, vidéastes, curators ou historiens, journalistes ou blogueurs, écrivains et philosophes, comédiens ou musiciens, il y a assez de place pour tous, et même pour des invités d’autres régions ou pays. Le mode d’accrochage sera aléatoire et le public sera convié tous les jours à participer, à donner son avis, voire même à se mêler de ce qui ne le regarde en général pas. Je veux que ce soit un joyeux bazar, convivial autant que sérieux, et que du matin au soir tard une vive émulation s’empare du lieu. Une sorte de confrontation ludique où nous verrons la création régionale à l’œuvre, et là, tu verras, l’émergence si chère au Ministère de la Culture verra le jour. Même les marchands et les collectionneurs viendront, nous les attendrons, ainsi que les entreprises et les mécènes. Évidemment, durant cet événement qui pourra se dérouler sur plusieurs semaines, voire des mois, les portes seront ouvertes et l’entrée gratuite afin qu’il se passe quelque chose et que les répercussions dépassent le simple cadre de la ville. En attendant les hôtels, chacun pourra venir planter sa tente dans le Jardin François 1°, et s’il est trop petit, on trouvera les terrains pour accueillir tout le monde. Tu vois, il y a en France des expériences très intéressantes, je pense à Montpellier où le camarade Nicolas se donne du mal. Il faut donc aller beaucoup plus loin et j’ai le recul nécessaire pour inventer de nouvelles formes d’expositions. Si je te mets l’eau à la bouche, je ne t’en dirais pas plus parce que je suis aussi un concepteur et que je dois garder le meilleur pour le début. Et pour rassurer les financeurs, je saurai leur expliquer que l’expérience sera au-delà du « rentable », même si je déteste ce mot. À un moment ou à un autre je sais bien qu’il faudra bien parler d’argent et je n’ai aucun tabou sur ce sujet. D’ailleurs, ma gestion sera transparente. Je n’oublie pas l’effort financier qu’ont déjà fait les Tourangeaux pour le CCC OD. Je veux leur rendre au centuple ce qu’ils ont consenti. N’oublions pas que ce lieu leur appartient. Mon projet, tu l’as compris, est autant dédié aux artistes qu’au public. Quoiqu’il en soit, la compétition est ouverte. Que le meilleur projet gagne.

 

Les enfants adorent aller au CCC OD

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